Jacques Saurin (1677-1730) |
Le contenu
Ce sermon s’ouvre par une citation d’Apocalypse 10, où un ange annonce qu’il n’y a plus de temps, que la patience de Dieu a des limites, ce qui conduit l’auteur à poser le verset qu’il veut commenter : Es 55.6 : Cherchez l’Eternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est près. Cette invitation pousse Saurin à aborder le danger que courent ceux qui renvoient leur conversion à plus tard. Il se propose d’examiner ce danger en adoptant, tour à tour, le point de vue anthropologique, scripturaire et expérimental, en consacrant un sermon à chaque aspect. Ce premier sermon aborde donc la question en considérant la nature de l’homme.
Saurin part du principe que deux éléments doivent être réunis pour qu’il puisse y avoir conversion : l’âme doit être illuminée, ce qui implique une démarche impliquant l’intellect, et elle doit être sanctifiée, c’est-à-dire la vérité perçue doit se muer en obéissance, de manière à devenir la disposition dominante du chrétien.
Illumination
L’âme est unie au corps et subit son influence. Or le vieillissement de l’homme fait qu’il lui est de plus en plus difficile de s’ouvrir à de nouvelles lumières. Par conséquent, les habitudes prises dans la jeunesse s’avèrent cruciales. Saurin signale deux dangers qui guettent le jeune homme : celui d’accepter la foi de ses pères sans la soumettre à un examen : la superstition, et celui de l’abandon de la foi, pour se donner bonne conscience : l’incrédulité. Les deux attitudes s’ancrent chez l’homme et deviennent des habitudes de plus en plus difficiles à surmonter. Lorsque l’homme atteint l’âge où les passions se calment, il est figé dans ses idées et dans les souvenirs de sa jeunesse.
Saurin insiste sur le fait que l’homme est façonné par l’objet de ses préoccupations ; ainsi celui qui a passé sa vie à se préoccuper de choses matérielles devient incapable de saisir des réalités spirituelles. A cela s’ajoute le fait que les choses de ce monde ont le pouvoir de distraire et d’accaparer l’homme, à prendre possession de son esprit. Tout cela contribue à rendre la conversion plus difficile, à mesure que le temps s’écoule.
Sanctification
Saurin revient sur l’affirmation que l’amour de Dieu doit être la disposition dominante chez l’homme : « pour être converti, il faut avoir un fonds et une habitude d’amour pour Dieu ». Une fois que ce principe est admis, le danger du renvoi de la conversion s’ensuit, car une telle habitude ne peut pas s’acquérir sur le lit de mort.
Le prédicateur pose deux principes : Premièrement, on ne peut pas acquérir une habitude sans effectuer les actes correspondants ; une habitude se forme par des actes réitérés, par le travail et par la peine. Pour progresser dans l’amour de Dieu, il faut donc accumuler un « fonds de vertu ». Or il ne s’agit pas seulement de faire des actes de piété, mais encore de contrebalancer les actes vicieux que nous avons déjà accomplis en suivant notre inclinaison naturelle. Il ne faut donc pas seulement construire, mais aussi abattre, si on veut voir se former la vertu. Celui qui retarde sa conversion s’adonne à l’illusion de vouloir devenir pieux en un instant.
Deuxièmement, une habitude enracinée est très difficile, voire même impossible à corriger. Si l’on pèche avec liberté dans les commencements, la persistance dans le vice a pour résultat que le vice domine nos cœurs. Celui qui ne veut pas abandonner ses passions trop tôt et renvoie sa conversion à demain la rend d’autant plus difficile. Saurin insiste sur l’évolution du cerveau de l’homme qui perd peu à peu sa souplesse ; par conséquent, il ne suffit pas de cesser les actes qui ont produit une habitude pour que l’habitude se perde ; tout au contraire, il faut faire des actes contraires à ceux qui avaient formé l’habitude pour se défaire de celle-ci. Dix ans de charité ne sauraient contrebalancer vingt ans d’avarice.
Saurin aborde ensuite diverses objections. Il admet cinq situations où un homme peut soudainement abandonner une habitude : par la réflexion (mais cela arrive rarement aux vieillards), par des circonstances extraordinaires, en entendant des choses qu’il ignorait (mais ce n’est pas le cas de personnes qui ont vécu dans un contexte chrétien toute leur vie), par la perte de ses capacités (mais celle-ci ne change pas son cœur) et par une maladie mortelle (selon son degré d’avancement sur le chemin de la conversion).
La deuxième objection exprime le souci de voir les pécheurs les plus enfoncés dans le mal exclus du salut. Saurin admet que dans un tel cas, Dieu peut prêter son secours surnaturel pour permettre au pécheur de surmonter son penchant, mais il insiste sur le fait que cette nécessité devrait décourager quiconque à choisir la voie de l’endurcissement : ce serait insensé de vouloir compter sur le secours extraordinaire de l’Esprit après l’avoir outragé.
Une troisième objection invoque la possibilité que le danger imminent de la mort peut bouleverser un homme et le changer tout d’un coup. Saurin l’admet, mais souligne que l’heure de la mort n’est pas une heure propice à la conversion, parce que cette heure apporte son lot de distractions, parce que la mort qui nous frappe n’est pas nécessairement de celles qui permettent la contemplation, parce que les souffrances du corps ou son délabrement peuvent la rendre quasi impossible. Et même lorsque les circonstances s’y prêtent, la seule idée de mourir peut provoquer un tel trouble dans l’esprit du mourant qu’il est incapable de se convertir.
Saurin résume les grandes étapes de sa démonstration et exprime sa confiance en la validité de celle-ci : « comme j’ai dit, personne de vous est en droit de contester la doctrine que nous venons de vous enseigner : hérétiques, orthodoxes, tout le monde est engagé à la recevoir et vous n’avez rien à y opposer ». Conformément aux habitudes de son temps, il ajoute encore une deuxième partie, intitulée « application » dans laquelle il tire les conséquences de ce qu’il vient d’établir.
Application
Dans la partie applicative du sermon, le prédicateur rappelle deux aspects majeurs de sa démonstration.
Premièrement, il insiste sur le fait qu’un homme est véritablement converti lorsque l’amour de Dieu est la disposition dominante de son cœur. Toutes les vérités de la foi ont pour but de nous faire aimer Dieu. C’est par là qu’on peut comprendre ce qu’est une bonne vie, et une bonne mort. Un bon chrétien n’est pas ce que le monde appelle « un honnête homme » ; la morale de Jésus-Christ n’est pas celle du monde – celle-ci ne permettra pas de résister au jugement. Non, il ne s’agit pas de devenir un « honnête homme » mais de cultiver l’amour de Dieu, pour que celui-ci devienne le principe dominant en nous.
Deuxièmement, Saurin revient sur la question des habitudes ; il faut du temps pour se libérer des mauvaises habitudes en pour en acquérir de bonnes. Il faut s’observer un peu et se convaincre que les vertus s’acquièrent par un travail persévérant, par des actes réitérés. Il ne s’agit bien entendu pas de nous appuyer seulement sur nos propres forces, mais l’Esprit aidera ceux qui s’emploient à devenir de bons chrétiens.
Saurin aborde ensuite ce qu’il appelle « l’endroit le plus difficile de cette méditation », en expliquant qu’en fin de compte, seulement deux voies s’offrent à l’homme : ou bien il cherche Dieu pendant qu’il se laisse trouver, en travaillant avec une sainte obstination à son salut, ou bien il s’exclut du salut en s’engageant sur le chemin qui mène à l’enfer.
Celui qui appelle le pasteur sur son lit de mort recevra peut-être des promesses de circonstance, dues à la faiblesse du pasteur et les contraintes de la situation, mais au fond cela est vain : sans la sanctification nul ne verra le Seigneur.
Saurin termine néanmoins sur une note d’espérance. Le temps de vengeance n’est pas encore venu, la grâce est encore à portée de main. Les jeunes ont encore toutes les dispositions nécessaires pour saisir l’offre de Dieu. Mais l’invitation s’étend aussi aux vieux : « en craignant, espérez, et en espérant, agissez ». La tâche est plus ardue, mais peut-être n’est-il pas encore trop tard, peut-être plaît-il à Dieu de faire grâce à celui qui, humainement parlant, se trouve dans une situation moins favorable.
Saurin invite donc tous à se convertir sans tarder, et à ne pas renvoyer la conversion. Il vante les multiples joies que procure la vie chrétienne : tout cela doit pousser l’homme à courir vers le salut que Dieu lui offre.
La forme
Le discours de Saurin est assez long (notre enregistrement dure presque une heure et demie) et donc assez exigeant envers l’auditoire. Il y a une structure qui s’ouvre à celui qui lit le sermon avec attention, mais elle ne semble pas évidente à la simple écoute. A la fin de la première partie, Saurin rappelle donc ce qui a été dit dans un « précis » qui est lui-même assez conséquent. Cela peut surprendre, mais, comme le signale Françoise Chevalier dans son ouvrage Prêcher sous l’Edit de Nantes, p. 34, beaucoup de fidèles ne se contentaient pas d’écouter la prédication : ils se procuraient par la suite le texte imprimé, ce qui devait leur permettre d’en avoir une meilleure intelligence.
La bipartition du sermon en une partie plus théorique et une partie d’application correspond également aux habitudes du temps.
Observations diverses
Il nous a paru intéressant de constater qu’un prédicateur réformé de sa trempe commence sa démonstration en trois points, non pas par l’exposé biblique, mais par une approche qu’on pourrait peut-être qualifier d’anthropologique. Si cela va à l’encontre des réflexes protestants, c’est probablement une bonne entrée en manière face à ceux que la prédication vise en premier lieu : les personnes non converties. A cet égard, on peut noter une particularité dans l’utilisation du mot « chrétien » chez Saurin. Il désigne par là des personnes vivant dans la sphère d’influence du christianisme mais qui ne sont pas nécessairement converties. Ainsi, il peut parler « d’un chrétien qui a réfléchi mille et mille fois sur les vérités de la religion et à qui on a mille et mille fois proposé les motifs de conversion et de pénitence, mais qui, s’y étant endurci, ne peut plus entendre de choses nouvelles sur cet article ».
On note avec intérêt que Saurin ouvre sa prédication par une citation d’un texte majestueux de l’Apocalypse, alors que celui-ci ne sert finalement que comme passerelle vers le texte fondamental d’Esaïe 55.6. C’est une entrée en matière stimulante, qui ne manque pas de retenir l’intérêt de l’auditoire.
L’ensemble du sermon nous a paru à la fois clair et intéressant ; on ne s’y ennuie jamais. Saurin varie les approches, se montre tantôt menaçant, tantôt ironique, tantôt rassurant. La partie consacrée à l’application montre une certaine finesse psychologique. Saurin sait où il veut amener son public, mais il annonce la couleur et ne cède pas à la tentation de la manipulation.
Une faiblesse réside peut-être dans le fait que la structure n’est pas limpide et, même en travaillant sur le texte imprimé, il ne nous a pas semblé aisé de dégager le plan du sermon. Il nous semble que le prédicateur aurait pu simplifier la tâche de son auditoire en balisant davantage.
Mis à part ce détail, il nous semble que ce sermon n’a rien perdu de son intérêt et de sa puissance, et nous n’hésiterions pas à le faire lire à des personnes tentées par le renvoi de leur conversion.
Vous trouverez ce texte, ainsi que le texte du sermon (original et version mise à jour) et un enregistrement audio sur mon site consacré à la grande prédication française (ici).
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