lundi 12 mars 2018

Adolphe Monod et Eugène Bersier


1. Les faits 

Nous ignorons s’il y a eu des contacts personnels entre Adolphe Monod et Eugène Bersier. Il faut dire que les deux hommes n’avaient pas beaucoup de temps pour se croiser. Eugène monte à Paris à la fin de ses études de théologie, en février 1854, et il repart pour l’Allemagne au mois juillet de la même année. Il retourne à Paris fin 1854 ou début 1855, à un moment où Adolphe Monod est sérieusement malade et sur le point de se retirer du pastorat. 

Nous savons qu’Edmond de Pressensé, ami et parent par alliance d’Eugène Bersier, était du nombre des pasteurs qui rendaient visite à Adolphe Monod peu avant sa mort. Le recueil Les Adieux cite les pasteurs ayant présidé aux services religieux organisés autour du mourant : « M. Frédéric Monod, Guillaume Monod, Meyer, Grandpierre, Gauthey, Vaurigaud (de Nantes), Vallette, Armand-Delille, Vermeil, Fisch, Jean Monod, Edmond de Pressensé, Petit, Paumier, Zipperlen, Hocart, Louis Vernes, Boissonnas et Vulliet. » [1] On peut donc penser qu’Eugène Bersier n’était pas du nombre – ce qui n’est point surprenant.


2. Mentions

Bersier mentionne ou cite Monod au moins quatre fois dans ses sermons publiés. Il est clair qu’il a beaucoup de respect pour Adolphe, mais aucun de ces passages mentionne un contact personnel :
  • Dans son sermon « Les ingrats », Bersier note en bas de page : « Qu’on lise par exemple la dernière prière d’Adolphe Monod (voir ses Adieux), et qu’on nous dise si jamais l’action de grâces s’est exprimée d’une manière plus émue et plus admirable, au milieu d’aussi cruelles douleurs. »
  • Dans le sermon « Le découragement », la phrase « Au lieu d’abaisser la loi divine au niveau de votre nature, élever votre nature au niveau de la loi de Dieu, voilà à ce terrible problème la seule solution qui soit digne et de Dieu et de vous. » contient un renvoi à Adolphe Monod. Nous ignorons à quel texte Bersier se réfère. L’expression « digne et de Dieu et de vous » se trouve aussi dans le sermon « Lazare », mais sans référence à Monod.
  • Le sermon « L’esclave Onésime » cite une phrase de Monod : « Il fait alliance avec l’humanité normale contre l’humanité déchue, avec l’homme tel qu’il doit être contre l’homme tel qu’il est. ». Il s’agit d’un extrait du sermon « Saint Paul ».
  • La prédication « Souviens-toi » contient le passage suivant : « Ames incrédules ou impénitentes, chrétiens de nom qui marchez dans les voies défendues, il faut vous souvenir aujourd’hui, pour ne pas avoir à vous souvenir quand il ne sera plus temps, pour ne pas devoir ajouter un jour, comme le disait Adolphe Monod, à la douleur du : « Je ne puis plus », l’amertume du : « J’ai pu et je n’ai pas voulu ! ». La citation provient du sermon « Trop tard » de Monod.
Dans un écrit répondant aux attaques d’un professeur de la faculté de théologie de Lausanne, Bersier nomme Adolphe Monod comme étant parmi les « frères excellents, fermes et pieux » [2] (p. 48) et comme digne de respect au même titre que son frère Frédéric [3].


3. Souvenirs

Dans son recueil de souvenirs de feu son mari, Marie Bersier évoque Adolphe Monod à deux reprises :

Le premier passage [4] relate la mort d’Adolphe :
« Adolphe Monod était mort le 6 Avril 1856. On sait que pendant les semaines qui précédèrent sa fin, il reçut de Dieu la grâce et la force de pouvoir réunir, chaque dimanche après-midi, auprès de son lit et malgré les souffrances les plus cruelles, une portion de son Eglise, avec sa famille et ses amis les plus chers. Ce furent ses « Adieux ».
Quel privilège que d’être invité à entendre ces derniers accents ! Parler d’éloquence serait les profaner. Interrompue souvent par les crises de la douleur qui faisait son œuvre de destruction, la parole brisée, mais plus admirable que jamais du prédicateur de l’Evangile, portait avec puissance le sceau de la foi qui devait déjà voir l’invisible.
Parmi ces auditeurs se trouvaient les hommes qui allaient rester, humbles et tremblants, sur la brèche ouverte, le cœur serré par une impression d’abandon devant un tel départ.
Edmond de Pressensé écrivit dans la Revue chrétienne, à la date du 7 avril :
« Ce n’est pas le moment d’essayer de dire tout ce que nous avons perdu. Aussi bien, le nom d’Adolphe Monod suffit à lui seul pour rappeler la plus grande éloquence évangélique, la vie la plus sainte, et la plus expansive charité. Il a réuni l’éclat du talent à l’austérité et à l’humilité, rare mélange que Vinet nous avait déjà montré. Adolphe Monod a mis tout son cœur, toutes ses prières dans sa parole. On voyait à son pâle visage que s’il faisait trembler ses auditeurs à la pensée du jugement de Dieu, il avait tremblé le premier pour eux, comme aussi la douce flamme de son regard, quand il racontait, dans un langage qu’on n’imitera plus, les miséricordes de Dieu, révélait sa propre joie et sa bienheureuse certitude. Nous avons vu, il y a quelques années, un manuscrit d’un de ses premiers sermons. Entre deux morceaux saisissants, il avait laissé échapper ce cri de son cœur, que Dieu seul devait entendre: « Mon Dieu, aide-moi par le sang de ta croix ». Ce mot n’est-il pas toute une révélation ? Ne sent-on pas le secret et douloureux travail de celui qui veut enfanter des âmes à la vérité ? Comment s’étonner que des prédications ainsi préparées aient été si puissantes ! Cela nous explique comment, sur son lit d’agonie, Adolphe Monod a pu, avec la même force et la même beauté, rendre son témoignage suprême. …
Il faut adorer en silence les impénétrables décrets de Dieu qui, après nous avoir enlevé Verny à quarante- neuf ans, Vinet à cinquante ans, nous prend Adolphe Monod à cinquante-quatre ans ».
A survoler ce texte, on pourrait croire que Bersier avait participé aux réunions autour d’Adolphe Monod, mais à regarder de près, ce n’est pas vraiment affirmé.

Le deuxième passage [5] montre que dans une certaine mesure, les prédicateurs de la chapelle Taitbout cherchaient à combler le trou laissé par Monod :
« … Dans l’Eglise réformée, la mort prématurée d’Adolphe Monod avait laissé une véritable stupeur et un vide qui semblait impossible à combler. Nul ne l’a jamais remplacé, celui dont le souvenir est sans cesse encore évoqué, et qui fut absolument unique. Mais il est vrai cependant que Dieu est le réparateur des brèches. Quand un homme est tombé, d’autres se lèvent. Il se produisit alors un vrai reflux des âmes du côté des prédications de la chapelle Taitbout. … »
4. Comparaisons

Dans son Histoire de la prédication protestante [6] de 1871, Alfred Vincent classe Monod parmi les prédicateurs du Réveil, qu’il n’apprécie guère, alors qu’il traite Bersier comme l’un des orthodoxes faisant preuve de libéralisme, qu’il goûte davantage. Mais il s’abstient de comparaison directes d’Adolphe Monod et d’Eugène Bersier comme prédicateurs. 

De telles comparaisons sont assez rares, peut-être aussi parce que les deux prédicateurs ont eu d’autres préoccupations. Monod est un prédicateur du Réveil qui vise avant tout la conversion, alors que Bersier est un moraliste.

L’étude qu’Edmond-Louis Stapfer a consacrée à Bersier [7] contient la déclaration suivante :
« Eugène Bersier a été le plus grand prédicateur protestant français de la seconde moitié du XIXe  siècle. Adolphe Monod, mort en 1856, appartient à la première. Et, même en parlant ainsi, je ne vais pas jusqu’au bout de ma pensée : M. Bersier est, à mes yeux, un des maîtres de la chaire française dans tous les temps. M. de Sacy a écrit sur lui cette phrase (Journal des Débats du 15 août 1876) : « Comme moraliste, M. Bersier est égal aux plus grandes illustrations de notre vieille chaire catholique. » Eloge magnifique ou plutôt sincère témoignage rendu à la vérité et qui restera. … »
Son frère Paul, qui admirait Monod à bien des égards et osa le comparer à Bossuet, écrivit quelques années plus tard :
« Il est probable qu’Adolphe Monod clôt magnifiquement la série des prédicateurs qui ont employé avec succès les anciens épouvantails. Mais il faut remarquer qu’à l’époque où il a eu l’audace de s’en servir encore, ils étaient déjà un anachronisme, et qu’en y recourant, il a dû, avec l’aide de tous les textes cruels de la Bible, faire un sensible effort contre son propre cœur. De là je ne sais quel malaise qui gâte, pour le lecteur moderne, les roides et superbes chefs d’œuvre intitulés : Trop tard, ou: Combien le chrétien inconverti est misérable aux yeux de Dieu. Il est incontestable que la prédication d’Eugène Bersier ou celle d’Edmond de Pressensé répond mieux aux besoins spirituels des chrétiens de nos jours; et il n’est pas sûr qu’en 1850, en 1830, tous les sermons d’Adolphe Monod aient été en parfaite harmonie avec l’âme contemporaine. » [8]

Annotations

[1] Les adieux d’Adolphe Monod à ses amis et à l’Eglise, Meyrueis, Paris, 1856, p. III
[2] Eugène Bersier, Mes actes et mes principes. Réponse aux attaques de M. J.-F. Astié, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1877, p. 48
[3] ibid., p. 50
[4] [Marie Bersier] Recueil de souvenirs de la vie d’Eugene Bersier, Paris, Fischbacher, 1911, p. 114-116
[5] p. 146
[6] Alfred Vincent, Histoire de la prédication protestante de langue française au dix-neuvième siècle, Genève, Cherbuliez & Cie, 1871, 330 p.
[7] Edmond-Louis Stapfer, La prédication d’Eugène Bersier, Paris, Fischbacher, 1893, p. 8
[8] Paul Stapfer, La grande prédication chrétienne en France. Bossuet, Adolphe Monod, Paris, Fischbacher, 1898, p. 355s

Egalement publié sur mon site consacré à Adolphe Monod (ici).

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