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Jacques Saurin (1677-1730)
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Le contenu
Dans son deuxième sermon sur le renvoi de la conversion, Jacques Saurin se penche sur le dossier scripturaire.
Le prédicateur exprime d’abord une appréhension : il craint que certains abusent de son discours, qui démontre comment « les trésors de la grâce aggravent la condamnation de ceux qui la changent en dissolution », et deviennent eux-mêmes une illustration de son propos.
Dans un premier temps, Saurin cite un certain nombre de textes où l’Ecriture exhorte, met en garde, menace ceux qui retardent leur conversion. Ensuite, il cherche à démonter deux dogmes défendus par ceux qui défendent la possibilité d’attendre avant de se convertir. Le premier de ces dogmes invoque le secours surnaturel de l’Esprit promis sous la nouvelle alliance, le deuxième le libre accès au pardon fondé sur la miséricorde de Dieu. Le prédicateur est conscient de marcher entre deux écueils également dangereux : « Car d’un côté, si nous nous éloignons de ces dogmes, nous abjurons la foi de nos pères, et nous nous attirons une note d’hétérodoxie. D’un autre côté, si nous donnons trop à ces dogmes, nous fournissons des prétextes au libertinage, nous [démolissons] ce que nous avons édifié, et nous nous réfutons nous-mêmes. »
Réfutation du premier dogme
Saurin s’attaque en premier à l’objection basée sur le secours surnaturel de l’Esprit. Il propose cinq considérations pour réfuter l’approche de ses adversaires.
Le premier argument se fonde sur l’institution du ministère dans l’Eglise. Le fait que Dieu ait voulu une Eglise où les fidèles s’approprient l’enseignement salutaire par une assimilation lente et patiente plaide contre l’inaction sous prétexte de l’attente d’une intervention surnaturelle de l’Esprit.
Deuxièmement, Dieu ordonne à ceux qui croient ne pas encore avoir reçu l’Esprit de faire des efforts. Or comment oserions-nous demander à Dieu de nous venir en aide si nos actes s’inscrivent en faux contre cette demande ?
Troisièmement, Dieu nous invite à joindre notre action à l’action de son Esprit ; maintes passages de l’Ecriture affirment à la fois l’action de Dieu et le devoir de l’homme qui en découle. L’affirmation que c’est Dieu qui produit en nous le vouloir et le faire est suivie de près de l’exhortation à travailler à notre salut avec crainte et tremblement.
Quatrièmement, dans d’autres textes, l’Ecriture contient des menaces à l’égard de ceux qui refusent de répondre aux soins de la grâce. Le serviteur infidèle qui néglige de cultiver son talent s’en voit finalement privé.
Enfin, l’Ecriture conclut de notre impuissance et des promesses de la grâce la conclusion qu’il convient d’œuvrer à son salut et d’être vigilant.
Tout cela milite fortement contre l’idée que l’homme puisse différer sa conversion. L’Esprit de Dieu agit au-dedans de nous, il est vrai, mais cela doit nous inciter à faire tout notre possible pour nous inscrire dans cette action. On peut donc conclure avec assurance que les secours de l’Esprit, loin de fonder un renvoi de la conversion, « fonde la nécessité de former des actes de piété pour en acquérir l’habitude ; … Mais tandis que tu imploreras ce secours, tandis que tu gémiras dans le sentiment de ton impuissance, travaille à te surmonter et à triompher de toi-même ; tire des promesses de Dieu des motifs à te sanctifier et à t’instruire, et lors même que tu diras : je ne suis rien, je ne puis rien, agis comme si tout dépendait de toi, comme si tu pouvais toutes choses. »
Réfutation du deuxième dogme
Saurin s’attaque ensuite à l’objection fondée sur la miséricorde de Dieu. Il y discerne le « paroxysme de la corruption, et l’ingratitude au degré suprême ».
Le prédicateur questionne d’abord la nature inconditionnelle de la miséricorde de Dieu. L’Evangile est une alliance, c’est-à-dire un contrat mutuel entre deux parties. Quelles sont alors les conditions qui nous sont imposées ? C’est une disposition de l’âme qui est désignée sous les noms de foi et de repentance. Implique-t-elle le renoncement au vice et un changement total de vie ?
Avant de poursuivre, Saurin exprime sa honte devant les chrétiens d’autres communions qui pourraient être scandalisés que cela est sujet à discussion dans le camp réformé. Il s’en excuse en concédant qu’il y a des insensés dans chaque société, y compris chez les réformés.
Si la foi et la repentance n’étaient que le simple désir d’avoir part au mérite de Jésus-Christ, l’Evangile serait « la plus impure des religions », et même « une invitation au crime », mais il en est tout autrement. Elles referment le renoncement au monde, l’abandon de nos méfaits, la transformation du cœur du croyant. Ainsi s’effondre l’argument de ceux qui invoquent la miséricorde de Dieu pour justifier le renvoi de leur conversion.
Saurin revient à l’une des conclusions de son premier sermon : un homme qui aura persévéré dans le vice toute une vie durant, comment pourra-t-il se défaire de ses habitudes, si ce n’est par une grâce extraordinaire de l’Esprit ? Mais comment nourrir l’espoir que l’Esprit agira de la sorte à l’égard de quelqu’un qui lui aura résisté ? Le prédicateur conclut : « pour être secouru de la grâce, il faut vivre dans une continuelle vigilance ; pour être l’objet de la miséricorde, il faut avoir la repentance et la foi ; la seule marque non suspect de ces vertus, c’est une longue suite d’action pieuses ; sans un miracle de la grâce, et dans le cours ordinaire de la religion, un homme qui a consumé sa vie dans le crime, quelques soupirs qu’il pousse au ciel à l’heure de la mort, a lieu de craindre que l’accès à la miséricorde ne lui soit fermé. »
Application
Saurin passe ensuite à l’application. Il s’attaque à ceux qui affirment qu’ils ne sauraient concevoir que Dieu soit aussi rigoureux. Il établit que l’incompréhensibilité des assertions de l’Ecriture ne saurait servir de critère de leur acceptation. Mais même si on invoque la raison, elle plaide contre les adversaires de l’orthodoxie, car la miséricorde de Dieu est tout aussi incompréhensible que sa sévérité.
Ensuite, Saurin se permet un argument ad hominem. Ceux qui trouvent la justice de Dieu trop riguoureuse, ce ne sont pas ceux qui travaillent à leur salut, mais ceux qui « lâchent la bride à leurs passions ».
L’argument que cette miséricorde apparaît trop limitée est balayé par un exposé de l’action généreuse de Dieu : seuls les impénitents et les endurcis sont exclus du paradis.
L’objection que selon cet Evangile, il n’y aurait que peu de gens sauvés ne fait pas long feu non plus, car Jésus-Christ lui-même l’a affirmé. Des millions d’hommes israélites partis d’Egypte, seulement deux ont pu entrer dans la Terre promise !
A l’objection que la prédication de cette doctrine porterait les hommes au désespoir, Saurin répond avec ironie. Les adversaires ne sont pas des consciences faibles et délicates, mais des hommes froids et indifférents, « vendus au monde », et qui plus est, il n’est pas encore trop tard pour eux !
Saurin aborde pour finir le rôle et la grandeur du ministère pastoral qui doit annoncer avec fidélité ce message. L’un des derniers passages du sermon aborde de manière poignante la difficulté de la tâche d’un pasteur appelé chez un mourant qui feint de se convertir sur son lit de mort. La pression est grande sur le ministre d’abonder en ce sens alors qu’il y a là de quoi avertir tout l’entourage du mourant.
Le prédicateur clôt en affirmant que Dieu se trouve encore, maintenant. Il n’est pas trop tard, mais demain, Dieu ne se trouvera peut-être plus.
Le sermon se termine sur une série de vœux : « Puissiez-vous, dès à présent, former la résolution de mettre à profit une liberté si précieuse ! Puisse l’heure de votre mort répondant à la sincérité de vos résolutions, et à la sainteté de votre vie, vous ouvrir les portes du ciel, et vous faire trouver dans la gloire ce Dieu que vous aurez trouvé favorable dans l’Eglise ! Dieu vous en fasse la grâce. »
Importance de ce sermon
Il s’agit d’une très belle suite à son premier sermon, encore plus poignante que la première partie. Le point de vue de l’Ecriture est déroulé avec brio, Saurin décoche des flèches qui ne ratent pas leur cible. L’argumentation est puissante et à point. Du grand art, à notre avis.
Structure
Le sermon est assez structuré ; Saurin annonce les grands arguments et des points de sa démonstration, et il s’y tient.
Partie doctrinale
1. Réfutation du premier ‘dogme’ des tenants d’un conversion tardive : le secours de l’Esprit
Les cinq preuves
2. Réfutation du deuxième ‘dogme’ : la miséricorde de Dieu
Application
- Réfutation d’arguments invoqués contre la position orthodoxe
- Grandeur et difficulté du ministère pastoral
- Invitation à saisir l’offre de Dieu sans tarder
Points faibles
Nous n’avons pas grand chose à redire sur ce beau sermon. A la limite, on peut se demander si le sujet est encore d’actualité ; dans nos sociétés post-chrétiennes le renvoi de la conversion ne semble plus guère être un problème pastoral qui mérite une série de trois prédications de ce calibre. En effet, l’attitude qui consiste à remettre la conversion à plus tard semble relativement rare ; la plupart de nos contemporains n’ont pas la moindre intention de se convertir, ni maintenant, ni plus tard.
Peut-être pourrait on critiquer l’approche pastorale du grandiose passage final « On n’a point d’idée de notre ministère … » où Saurin semble affirmer qu’il faut refuser d’apaiser un homme qui se convertit sur son lit de mort. Certes, une telle conversion est suspecte, et le risque d’une fausse conversion est réel, mais ne devrait-on pas appliquer la règle in dubio pro reo et laisser à Dieu le soin de séparer le grain de l’ivraie ? Le pasteur qui se montre inflexible en ces moments risque de son côté de s’ériger en juge des consciences, ce qui est, à notre avis, problématique.
Eléments de rhétorique
Saurin utilise volontiers des refrains multiples. Ainsi, il aligne huit questions « Pourquoi … ? » et peu de temps après, une nouvelle série de sept « Pourquoi … ? », suivie de près par une série de quatre « Puisque …, ne concevez-vous pas que … ». On peut également signaler une quadruple répétition des affirmations « … voilà l’action de Dieu ; … voilà le devoir de l’homme » et autant de répétitions de la formule « Le Saint-Esprit agit au-dedans de nous, il est vrai ; mais … ». Un peu plus loin, nous voyons cinq répétitions de la formule « Un bon protestant croit que … » au sein d’un seul paragraphe. En expliquant la nature de la foi, Saurin répète trois fois « non par … mais par », et en abordant le comportement de ses adversaires, il répété quatre fois « et moi, je ne puis pas concevoir ». Dans les derniers paragraphes du sermon encore, nous rencontrons une série de huit « il se trouve … », suivis de six « qui saurait … ! ». Cette accumulation des refrains est réellement une marque de fabrique de Saurin, et on peut penser qu’un Adolphe Monod, qui a beaucoup lu Saurin, a trouvé l’inspiration d’en faire de même.
Observations diverses
Le sermon contient un bel exemple d’ironie mordante (deuxième paragraphe de la page 17 de notre transcription).
Aussi publié sur mon site consacré à la grande prédication française (ici).