vendredi 21 juin 2013

Adolphe Monod – La miséricorde de Dieu




C’est la deuxième et dernière partie d’une petite série de prédications consacrée à Romains 11.32.

Mes notes sur la première partie se trouvent ici.

Résumé

Ayant rappelé les éléments clé du premier sermon de la série à son auditoire (ou à ses lecteurs), Monod s’adresse directement à ceux d’entre eux qui n’ont pas vécu de conversion. Il les exhorte à l’inquiétude, car ils se trouvent dans un état à la fois de culpabilité et de misère ; ils ont besoin d’être délivrés « et de la peine du péché, et du péché lui-même », et ils sont incapables de s’en extraire par eux-mêmes, car même une conduite parfaite ne saurait racheter les fautes passées, et sur les bases mauvaises du passé, ils ne sauraient rien construire de saint. La seule délivrance possible réside donc en Dieu.

Monod s’apprête à exposer le plan de Dieu, en se basant cette fois-ci uniquement sur la Parole de Dieu car la raison humaine, si elle a pu établir la perdition de l’homme, n’est pas capable de dégager la solution que Dieu a mise en œuvre.

Effectivement – et cela nous place au cœur de la Bonne Nouvelle – Dieu répond au problème de la culpabilité en pardonnant à l’homme. Incapable de se justifier par ses œuvres, l’homme a besoin de la justification par la foi, accordée comme une grâce à un coupable. Elle se base sur l’œuvre de Jésus-Christ qui a souffert la punition que nous méritions.

Monod admet que cette doctrine le dépasse et suscite des questions dont il ignore la réponse, mais qu’il peut appréhender « par ce qui la précède et ce qui la suit », à savoir dans sa réponse aux besoins de la conscience angoissée et par la paix qu’elle lui offre.

Dieu offre également la délivrance de la misère de l’homme, en ramenant l’homme à l’amour de Dieu. En effet, celui qui contemple l’œuvre du Fils qui se sacrifie pour le pécheur, en l’absence de tout mérite de celui-ci, ne peut que s’écrier : « Quel amour ! mon Dieu, quel amour ! »

Un tel amour ne devrait manquer de susciter l’amour de l’homme, mais il n’en est rien, sauf si son esprit est préparé par l’action du Saint-Esprit.

Monod démontre que le Saint-Esprit n’est pas promis aux seuls apôtres, mais à tous les chrétiens. Il écarte un certain nombre de fausses approches avant de conclure : « Le Saint-Esprit, c’est une action directe, réelle, surnaturelle, exercée sur l’esprit de l’homme par un Dieu maître de notre cœur aussi véritablement qu’il l’est de la nature, et qui peut à son gré nous donner et nous ôter des sentiments et des pensées … Le Saint-Esprit, c’est Dieu dans l’homme. »

Le prédicateur offre lui-même un résumé de ce qu’il vient de dire : 
« Ainsi la miséricorde divine n’a rien laissé manquer pour le salut de l’homme pécheur. Il faut à l’homme pécheur une double délivrance. Coupable, il a besoin d’un pardon ; misérable, il a besoin d’un changement de cœur : Dieu lui offre l’un et l’autre en Jésus-Christ. Il lui pardonne, en considération de Jésus-Christ, qui a souffert à sa place la peine due à ses péchés. Il lui change le cœur, en lui manifestant son amour dans la rédemption, qu’il lui fait croire et sentir par le Saint-Esprit. »
Se pose alors la question de la contribution de l’homme ; n’a-t-il rien à faire de son côté ?

Monod répond en affirmant que l’homme doit se mettre dans une certaine disposition d’âme, qu’il doit exercer sa foi. A cet égard, le prédicateur distingue entre la « foi en Dieu », c’est-à-dire « la conviction générale que la Bible est la parole de Dieu », et une de ses conséquences, la « foi en Jésus-Christ », c’est-à-dire « la conviction spéciale … que nous sommes perdus et que nous pouvons être sauvés par Jésus-Christ ». C’est cette dernière qui est exigée de nous pour le salut.

Mais comment l’acquérir ? Face au paradoxe que cette foi est un don de Dieu, et que l’homme est invité à la mettre en œuvre, on pourrait se décourager, mais en réalité, la solution du dilemme est simple ; il suffit de demander à Dieu. Et même si l’homme n’a qu’un commencement de foi à offrir, il faut l’offrir pour s’inscrire dans ce cercle vertueux « de prières en grâces, et de grâces en prières » qui le mène sur la voie des miséricordes divines.

Monod s’adresse ensuite à ceux qui refusent ce discours. Il accepte qu’on en rejette la forme, le langage, l’enchaînement des idées, tout ce qui vient de l’orateur. Mais en ce qui concerne le contenu, le fond – la misère de l’homme et son besoin du salut en Jésus-Christ par grâce, par la foi, l’œuvre de l’Esprit-Saint – celui qui les rejette, rejette l’Evangile lui-même. Monod est très solennel : 
« Ce que je vous ai prêché, ce n’est pas mon opinion : c’est la vérité. Ce n’est pas une doctrine : c’est la doctrine. C’est plus : c’est la vie ; et si vous ne croyez pas cela, vous demeurez dans la mort. » 
Celui qui refuse ces vérités, refuse aussi les déclarations de la liturgie réformée et doit se poser la question de ce qu’il fait à l’Eglise. 
« … il faut sortir de quelque manière d’une situation si fausse : il faut ou aller plus avant, ou revenir en arrière ; ou prendre la chose, ou quitter le nom ; ou recevoir cette doctrine, ou renoncer à être chrétiens. »
Monod s’adresse ensuite à ceux que son discours aurait touché et les invite à se tourner vers Dieu afin de lui demander la grâce de la conversion, en acceptant de lui sacrifier tout ce qui ferait obstacle, que ce soit la fortune, la réputation, le bien-être, certaines relations : « Convertis-moi, Seigneur, et je serai converti ! »

La prédication se termine par une prière dans laquelle Monod implore Dieu d’envoyer son Esprit dans le cœur de ceux qui seraient disposés à se conformer aux instructions divines.

Structure

Monod n’affiche pas de structure, mais son discours est logiquement ordonné. Il n’y a pas de véritable exorde, l’exposé commence par un rappel des éléments clé du premier sermon. La suite peut se structurer comme suit :
  1. Un double problème : culpabilité et misère
  2. La réponse à la culpabilité : la propitiation en Jésus-Christ
  3. La réponse à la misère : l’homme est ramené à l’amour de Dieu
  4. La nécessité de l’œuvre du Saint-Esprit
  5. La nécessité d’une démarche de foi
  6. Invitation à s’engager sur la voie du salut

Apport

Cette prédication se distingue par une grande profondeur théologique. Monod aborde des sujets graves et complexes – la réponse scripturaire à la fois à la culpabilité de l’homme et à sa misère, la doctrine du Saint Esprit, la théologie de la foi … – et il le fait d’une manière très claire. Monod admet qu’il n’a pas réponse à tout, mais il n’hésite pas à insister sur ce que Dieu a bien voulu révéler dans les Ecritures et proposer des approches très pragmatiques basées sur cette révélation.

Comme le signale Fredrik Dahlbom dans sa thèse (1923), Monod est original dans son insistance sur la volonté de croire. Il trouve une correspondance dans le vécu du prédicateur : 
« Dans sa propre conversion, l’élément de volonté avait pris beaucoup de place. Il avait été un douteur, mais il avait souffert de ses doutes. Il voulait croire, et c’est pour cela qu’il n’avait pas abandonné le combat quand il semblait le plus désespéré. Pourtant, l’insistance sur la volonté n’est pas chez Monod en contradiction avec l’abandon de soi. Tout au contraire, la volonté désigne ici la volonté de s’abandonner. »
On peut également signaler la distinction originale entre la « foi en Dieu » (peut-être serait-il plus propre de dire « foi en l’Ecriture ») et la « foi en Jésus-Christ ».

Points faibles

Il me semble que le discours est très dense, peut-être trop dense théologiquement. On y trouve assez peu d’images parlantes, tout est très intellectuel et assez abstrait, et cela dans un discours d’environ cinquante minutes. Monod soumet l’auditeur moyen à une rude épreuve. Il fallait sans doute un orateur de son talent pour faire passer la pilule.

Dans sa thèse susmentionnée, Dahlbom place cette faiblesse dans une perspective plus large : 
« [Monod] cherche à libérer la religion de sa captivité dans son exile [où l’avait reléguée] le moralisme des Lumières et à la ramener dans sa terre d’origine. Mais à cause de son concept de la révélation, il lui impose un autre esclavage, à savoir l’intellectualisme. Comme les Lumières confondaient religion et moralité, Monod et le Réveil couraient le risque de confondre religion et croyance. Un exemple typique se présente lorsqu’il examine, dans La miséricorde de Dieu, le concept de foi et distingue entre « foi en Dieu », à savoir que tout ce que Dieu dit dans sa Parole est vrai, et « foi en Christ », c’est-à-dire la foi en une force à l’extérieur de nous-mêmes qui ne peut pas se manifester tant que tout ce qui est faux a été enlevé de par l’abandon de soi. Il est évident que Monod pense que la [foi comme] confiance devrait être le principal et que la [foi comme] acceptation et maintien [de la doctrine] ne sert qu’à établir un fondement sûr pour la confiance. Mais en pratique, c’est l’inverse. Il plonge tellement dans des démonstrations scolaires que ce qui ne devrait être qu’un support pour la foi comme confiance, prend la première place et relègue l’aspect de confiance sur un deuxième plan. »

Eléments de rhétorique

Le lecteur (et l’auditeur) ne peut passer à côté de trois refrains qui marquent le discours dans sa deuxième moitié. D’abord, il y a, au milieu du sermon, quatre fois l’exclamation « Quel amour ! Mon Dieu, quel amour ! », puis, plus vers la fin, 14 (!) répétitions de l’interrogation « Voulez-vous … ? », suivies de près de 15 (!) répétitions de « C’est l’évangile de … ». A chaque fois, l’utilisation de ces refrains fait son effet, mais on peut se demander si Monod n’en fait pas trop en enchaînant plusieurs passages de ce type. Parfois, moins, c’est plus …

Autres observations

Monod se montre assez ouvert dans son énumération des autorités que peut faire valoir l’Evangile qu’il proclame : on y trouve non seulement Calvin et Luther, mais aussi Fénelon, Thomas a Kempis et St Bernard. Tous les prédicateurs évangéliques de notre temps ne seraient pas prêts à revendiquer le soutien de tous ces chrétiens célèbres.

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