jeudi 18 avril 2013

André Bieler sur Monod et le Réveil



André Bieler (1914-2006) était un pasteur et théologien suisse. Fondateur de la Déclaration de Berne en faveur de l’aide au développement (1968), il est considéré comme l’un des principaux éthiciens protestants de la seconde moitié du XXe siècle. Son livre « Chrétiens et socialistes avant Marx: Les origines du grand malentendu », Genève, Labor et Fides, 1981, comporte un passage intéressant sur Adolphe Monod (p. 46s) :

« … Il faudrait citer ici la longue liste des œuvres protestantes d’évangélisation, de mission et d’entraide qui se multiplièrent dès cette époque […]. Il faudrait aussi évoquer la vie et le dévouement des éminentes personnalités qui ont illustré le protestantisme de ce temps, grâce au dynamisme et à l’abnégation individuelle que leur communiqua leur piété vivante, fruit du Réveil. De nombreuses femmes de grande valeur se signalèrent par leur dévouement tenace au profit d’activités philanthropiques où elles payèrent de leur personne. On connaît les noms fameux des Monod, Hollard, de Pressensé, Lutteroth, Stapfer, de Broglie (Madame était la fille de Mme de Staël), Mallet, de Gasparin, etc. Tous appartenaient aux milieux des affaires, de la diplomatie, des carrières libérales, et de la haute administration.

Il n’empêche que l’orientation politique des milieux du Réveil était non seulement passéiste mais bien souvent contre-révolutionnaire. Adolphe Monod suspectait le pasteur Oberlin, dont nous avons cité l’œuvre sociale exemplaire qu’il déployait au Ban-de-la-Roche, de n’avoir pas été assez religieux.
« C’était un bien respectable pasteur, écrivait-il, mais c’est une question de savoir si le soin qu’il a pris des intérêts temporels n’a pas nuit (sic), à certains égards, au développement des intérêts spirituels. »
Du haut de sa piété, il jugeait de façon très sévère les canuts lyonnais en révolte au début de la Monarchie de Juillet.
« Nous demandâmes particulièrement à Dieu, écrivait-il en 1831, de ne pas traiter ce pauvre peuple (les ouvriers insurgés) selon ses péchés, de se souvenir de ses enfants qui habitent cette ville, plus nombreux que les justes de Sodome, de faire grâce à la ville à cause d’eux, de mettre un frein aux passions déchaînées, etc. D’abord, nous fûmes péniblement agités, mais bientôt nous reçûmes la paix ; et nous éprouvâmes une douce tranquillité … Pendant que ces scènes affreuses se passaient au dehors, au dedans tout était tranquille. Vous n’aviez que quelques pas à faire, vous auriez cru passer du Royaume du démon dans celui de Jésus-Christ ; nous lisions sa Parole, nous invoquions son nom, nous nous réjouissions en sa grâce, qui nous avait délivré des passions de l’homme naturel et qui nous gardait en paix au milieu des fureurs et des calamités dont il nous rendait témoins … »
Une attitude analogue accompagna les événements révolutionnaires de 1848. Le méthodiste Louis Rostand exprime bien la peur dans laquelle furent plongés les groupes protestants qu’il fréquentait.
« La terreur est partout, écrivait-il, le peuple enfonce les portes des maisons … ; on craint le pillage, on craint l’incendie, on craint tout ; la mort est sur les lèvres ».
Ami Bost exprime ouvertement son mépris pour le nouveau régime.
« Quelle basse et misérable comédie fut l’établissement de cette république ! écrit-il. Et comment s’est-il trouvé des personnes pieuses qui aient pu se tromper sur le caractère de cette incartade, et oublier ce que Montesquieu même, quoique peu éclairé en religion, avait su bien voir, qu’une république ne peut subsister qu’avec un certain degré de vertu qui nous manque depuis longtemps. »
De tels jugements semblent, selon E. Léonard, partagés par la majorité des « personnes pieuses ». Il cite toutefois quelques exceptions : le pasteur Léon Pilatte, d’origine très modeste, qui dit avoir été « malade d’émotion et de joie » en apprenant l’avènement de la République, le jeune Edmond de Pressensé, beaucoup plus ouvert que son milieu aux aspirations socialistes ; il fut frappé par le calme et l’intelligence des révolutionnaires, « cette race intelligente, vive, spirituelle et bonne » ; et Madame André-Walther, « la piétiste de la haute société parisienne dont l’hôtel de la Trésorerie générale, à Tours, servait de point d’attache à toute une intelligentia (sic) fuyarde. » … »


NB : Dans son ouvrage La carte protestante. Les réformés francophones et l’essor de la modernité (1815-1848), Genève, Labor et Fides, 1997, p. 90, le professeur d’apologétique William Edgar (1944-) relativise ces propos, en commentant le sermon Etes-vous un meurtrier ? d’Adolphe Monod :
« Il est certain que cette approche des problèmes de la société a un côté moralisateur. Mais l’appréciation sur Monod de Bieler et de ses collègues issus du Réveil est par trop sévère : « non seulement passéiste mais bien souvent contre-révolutionnaire ». […] On trouve davantage ce genre de conservatisme chez la première génération de prédicateurs tels que J.I.-S. Cellerier. […] Il nous semble plutôt discerner une certaine approche individualiste, bien protestante, mais pas uniquement, du problème social. Pour Monod, à cette époque, il fallait commencer par moraliser les chrétiens pour arriver, ensuite, à des solutions plus globales. C’est de l’apologétique indirecte, à partir de principes protestants. »
Aussi publié sur mon site consacré à Adolphe Monod (ici).

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