lundi 10 octobre 2016

Souveraine crainte et souveraine confiance



Dans la quatrième section de la première partie de son Abrégé de la théologie, Jacques Saurin (1677-1730) se penche sur une autre vérité que la religion naturelle nous révèle : la toute-puissance de Dieu.

Demande du catéchiste : Quelle est la troisième idée que vous vous formez de la divinité ? 

Réponse du catéchumène : C’est la puissance.

D.     Qu’entendez-vous par la puissance de Dieu ?

R.     J’entends cet attribut qui fait que dès que Dieu veut qu’une chose soit, elle est infailliblement.

D.     Sur quoi la persuasion où vous êtres que cet attribut convient à Dieu est-elle fondée ?

R.     Comme l’idée du Dieu créateur m’a conduit à celle d’un Dieu éternel, aussi l’idée d’un Dieu éternel et celle d’un Dieu créateur me conduisent à celle d’un Etre tout-puissant.

D.     Comment ces deux premiers attributs vous conduisent-ils au troisième ?

R.     Je me transporte par la pensée [1] dans ce période [2] pendant lequel les choses qui ont eu un commencement n’étaient pas encore ; je me représente la divinité qui forme le dessein de créer les choses qui sont. Il veut qu’elles soient ; cette volonté les fait être. Il veut qu’il y ait un soleil : cette volonté fait qu’il y a un soleil. Il veut qu’il y ait une terre : cette volonté fait qu’il y a une terre. Il veut qu’il y ait des hommes, des plantes, des animaux : cette volonté fait qu’il y a des hommes, des plantes, des animaux. Je ne connais rien qui me donne une plus grande idée de puissance. 

D.     Les êtres que Dieu a créés n’ont-ils pas aussi de la puissance ?

R.     Oui, mais il y a toujours une grande différence entre la puissance de l’Etre créateur et éternel et celle des êtres créés et qui ont eu un commencement.

D.     En quoi consiste cette différence ?

R.     Comme les êtres qui ont été créés ne se sont pas créés eux-mêmes, ils ne se sont pas aussi donné à eux-mêmes la puissance qu’ils ont ; ils la tiennent de Dieu. C’est une puissance empruntée ; celui qui la leur a donnée peut la leur ôter. Celui qui a donné à un homme d’esprit la puissance qu’il a de bien raisonner peut, quand il lui plaira, le rendre stupide. Celui qui a placé un roi sur le trône [3] peut, quand il lui plaira, le rendre aussi misérable que le plus misérable de ses sujets. Mais Dieu ne doit sa puissance qu’à lui-même ; personne ne la lui a donnée, personne ne peut l’en priver. 

D.     Quels sentiments devez-vous avoir pour l’Etre tout-puissant ?

R.     Je dois avoir pour lui, et pour lui seul, la souveraine crainte et la souveraine confiance.

D.     Qu’entendez-vous par la souveraine crainte ?

R.     C’est cette disposition de mon esprit qui me persuade que si Dieu voulait me rendre malheureux, je le serais, quand [bien] même toutes les créatures du monde se réuniraient pour contribuer à mon bonheur.

D.     Comment pouvez-vous avoir cette persuasion ?

R.     Un homme riche peut contribuer à mon bonheur en me faisant part de son bien, mais Dieu peut ôter à un homme toutes ses richesses. Donc si Dieu veut que je sois pauvre, un homme riche ne se donnera que des mouvements inutiles pour m’enrichir. Un médecin peut contribuer à mon bonheur en me fournissant de bons remèdes lorsque je suis malade, mais Dieu peut empêcher quand il lui plaît que les remèdes n’aient du succès ; ainsi un médecin ne se donnera que des soins inutiles pour me guérir si Dieu veut que je sois malade.

D.     Qu’entendez-vous par la souveraine confiance ?

R.     C’est cette disposition de mon esprit qui fait que je regarde Dieu comme seul capable de me rendre heureux, en sorte que quand tous les hommes du monde viendraient à se réunir pour me rendre misérable, je serais pourtant heureux, pourvu que Dieu veuille que je le sois.

D.     Comment cela ?

R.     Un ennemi pourrait contribuer à me rendre malheureux en me persécutant, mais Dieu peut quand il le veut ôter à un ennemi le moyen de me persécuter. Un assassin pourrait contribuer à me rendre malheureux en me faisant mourir d’une mort violente, mais Dieu peut ôter la vie à l’assassin même, et me conserver la mienne. Il n’y a donc que Dieu qui mérite une souveraine confiance, comme il n’y a que lui qui mérite une souveraine crainte.

D.     Mais comment doit se conduire une personne raisonnable, qui croit que Dieu seul est digne de la souveraine crainte et de la souveraine confiance ?

R.      Elle doit regarder comme le plus grand de tous les biens d’avoir Dieu dans ses intérêts, et faire tout ce qui dépend d’elle pour cela. Elle doit regarder comme le plus grand de tous les malheurs d’avoir déplu à Dieu, et éviter avec tout le soin dont elle est capable de tomber dans ce malheur. Elle doit être contente quand Dieu est pour elle, quelque malheureuse que sa condition puisse lui paraître ; elle doit être dans une profonde affliction quand Dieu est contre elle, quelque riante que sa condition lui semble d’ailleurs. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous. Et si Dieu était contre nous, qui est-ce qui serait pour nous ? 


On chantera à la fin de cette Section la première partie du Psaume 19.



[1] C’est-à-dire : je pense
[2] temps
[3] C’est un siège sur lequel le roi est assis quand il agit comme roi. On entend aussi par le trône la puissance du roi.

Egalement publié sur mon site consacré à la prédication française (ici).

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