Sermon d’action de grâces pour la paix,
et de commémoration de la mort de Louis XVI
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Contexte
Comme le note Julien Monod dans sa note
introductive à ce sermon, publiée dans l’ouvrage « Cent cinquante ans
après » (1943), le sermon, prononcé le 26 juin 1814,
est un discours officiel, commandé par une circulaire du Ministre de
l’Intérieur et des Cultes ; la note précise qu’« à cette date, on était
encore dans l’étonnement et l’émoi des événements, si rapides, qui
avaient marqué la ruine de l’Empire et le retour des Bourbons ».
(Pré)texte
Luc 2.14 – Paix sur la terre !
Résumé
Jean Monod part du spectacle affligeant
qu’offrent les peuples en guerre. Il s’étonne que même des chrétiens
puissent s’abandonner à de telles fureurs, alors que la religion de
Jésus-Christ ne respire que la paix. Hélas, le vœu de paix des anges de
Bethlehem n’a été exaucé que rarement. C’est d’autant plus réjouissant
d’assister au retour de la paix après tant de violences et de malheurs.
Le prédicateur se rappelle les terribles jours
de guerre et les contraste avec la paix retrouvée. Mais il ne veut pas
se contenter de cette comparaison superficielle ; il dirige les regards
de son auditoire vers la providence de Dieu qui s’exprime à travers les
événements récents. Pour lui, la France s’est rendue coupable de grands
crimes contre ses citoyens et contre son roi, ce qui explique que la
justice divine se soit abattue sur elle. Maintenant, le temps de la
miséricorde de Dieu est arrivé, mais aussi le temps de commémorer les
forfaits du passé. Monod exprime sa profonde estime pour le roi Louis
XVI, qu’il considère comme « un modèle de pureté, de modestie, d’une
piété douce et sincère, qui, sur le trône fut le meilleur des hommes,
et, sur l’échafaud, le plus grand », ainsi que pour son épouse
Marie-Antoinette, victime comme lui de la Révolution. Le prédicateur
voit encore la providence divine dans le retour des Bourbons sur le
trône de France. Pour lui, la cause de la famille royale est « celle de
la justice, de l’ordre et de la morale ».
Dans la seconde partie du sermon, Monod
envisage l’avenir. Il voit dans la paix présente une occasion grandiose
de poser les fondements d’une paix durable. Pour récolter un tel fruit,
il appartient à chacun d’en répandre la semence, car les phénomènes de
société ont leur racine dans le comportement des individus qui
constituent cette société. Monod concède la possibilité d’une guerre
juste, mais il affirme que la société qui serait le moins exposée aux
guerres est celle dont la conduite est vertueuse, autrement dit « la
nation où ces sentiments d’équité, de droiture, de modération
régneraient dans toutes les âmes parce qu’ils formeraient l’esprit
public, dirigeraient les conseils du Souverain, comme les affaires des
particuliers … » En vivant de manière vertueuse, les citoyens
contribuent donc à l’harmonie universelle. Pour le prédicateur, la
religion seule peut constituer une base solide pour la morale. Les chefs
des nations devraient donc s’inspirer des leçons de Jésus s’ils veulent
bien conduire le monde : « qu’ils viennent dans les temples adorer le
Dieu de bonté, et pourront-ils ensuite, de sang froid, envoyer ses
enfants à la mort ? » Monod rappelle l’attitude de Louis XVIII, prince
religieux, ainsi que l’effet bienfaisant de la religion sur les soldats
étrangers. Pour lui, c’est la religion qui doit former le liant entre
les peuples, entre les hommes et entre le ciel et la terre. Les leçons
terribles du passé devraient donc servir au profit de la religion et de
la vertu.
Dieu a agi, maintenant c’est aux hommes de
s’inscrire dans le même mouvement. La conclusion consiste donc en une
série d’invitations. Monod demande d’abord à Louis XVI de veiller sur
les Français du haut des cieux. Il invite Louis XVIII à suivre les
instructions de son ancêtre et implore les bénédictions divines sur lui
et sur les princes entourant le roi. Il invite les guerriers à soutenir
l’état et le roi. Les pasteurs, eux, doivent lutter sans pitié contre le
vice et l’impiété. Les protestants doivent être des citoyens
exemplaires et mettre de côté toute animosité envers les autres cultes.
Monod demande aux parents d’offrir à leurs enfants une éducation
chrétienne qui en fera de bons citoyens. Pour le pasteur, la première
cause des malheurs de la France était « le relâchement des mœurs,
l’oubli de la religion, les progrès du luxe et de la vanité, la passion
toujours croissante des plaisirs et des richesses ». La prospérité ne
reviendra donc que si les vertus renaissent. L’œuvre de la providence ne
saurait aboutir sans le concours de tous ; la régénération de l’état
commence dans les cœurs.
Structure
Le sermon est assez nettement structuré :
Introduction : la paix après les horreurs de la guerre
- Le passé – façonné par la providence de Dieu
- L’avenir – à façonner par la conduite vertueuse de l’homme
Conclusion : invitation à une vie vertueuse
Particularités
Jean Monod est un homme des Lumières,
résolument optimiste quant aux bienfaits de la civilisation et les
ressources de l’homme, notamment sa raison et sa vertu. Pour lui, la
religion est « le garant le plus assuré [des] vertus publiques et
privées » et contribue « à ce grand but de tous, le progrès de la vertu …
». On a là affaire à une religion dont le cœur n’est pas dans la
rédemption opérée à Golgotha mais une aspiration à une vie vertueuse et
une lutte ferme contre le vice sous toutes ses formes. On devine le
gouffre qui séparait Jean Monod de ses fils qui s’étaient inscrit dans
le Réveil. Philippe Vassaux a sans doute raison lorsqu’il dit que Jean
Monond « peut être considéré comme tout à fait représentatif de la
tendance pré-libérale qui insiste beaucoup sur la nécessité d'une morale
chrétienne ».
Eléments de rhétorique
Il nous semble que Jean Monod n’use pas
beaucoup des techniques de la rhétorique. Ceci dit, même si à la lecture
son langage peut paraître quelque peu ampoulé par endroits, il s’avère
assez efficace à l’écoute. A noter aussi une conclusion assez incisive
où Monod enchaîne des recommandations à des groupes de personnes assez
divers, en allant du roi jusqu’au simple citoyen, en passant par les
hommes de pouvoir, les soldats, les pasteurs et les fidèles.
Pourquoi ce sermon vaut la peine d’être lu
Outre le fait que c’est le seul sermon de Jean
Monod en notre possession (sauf erreur, les sermons détenus par la
bibliothèque de Genève n’ont jamais été publiés), c’est un bel exemple
d’une prédication politique engagée, au soutien du pouvoir. Monod est
légitimiste, et il ne se prive pas de le faire savoir. C’est assez rare
de voir un homme d’Eglise se rallier à une cause politique avec autant
de netteté. Le sermon est aussi utile pour mieux comprendre la rupture
entre la prédication des Lumières et celle du Réveil, et pourquoi le
jeune Adolphe Monod était si bouleversé par sa découverte de la
différence entre le vice et ce que la Bible appelle le péché.
Faiblesses
A notre avis, Monod pèche par excès. Sa
vénération pour Louis XVI semble excessive, le portrait qu’il en dresse
est celui d’un saint. Même en tenant compte des exigences de l’éloge
funèbre (de mortuis nihil nisi bene), cela va trop loin. Les sommets
sont atteints lorsqu’il invite le roi à veiller sur la France du haut
des cieux. Cela nous semble aller trop loin dans l’idéalisation. On peut
se demander si le pasteur ne trahit pas le rôle du prédicateur quand il
étale ses convictions personnelles politiques.
Il faut cependant se souvenir qu’il s’agit
d’une prédication commandée par l’état ; il ne faudrait pas juger Jean
Monod sur ce morceau sans doute assez atypique dans son œuvre.
Réception
Nous ignorons comment ce sermon a été reçu au temps de Monod, mais les lecteurs modernes sont quelque peu embarrassés.
Julien Monod note en 1943 que le sermon « n’est
pas seulement une homélie de commande et un Te Deum obligatoire » et
poursuit : « Légitimiste convaincu, pour des raisons d’ordre à la fois
politique, moral et religieux, c’est avec une satisfaction sincère [que
Jean Monod] célèbre la fin des guerres de l’Empire, la paix rendue à la
France et à l’Europe, et le rétablissement des Bourbons. Son discours de
1814 apparaît comme la suite et la conclusion de plusieurs sermons
antirévolutionnaires qu’il avait prêchés à Genève et à Copenhague, de
1792 à 1800. »
Philippe Vassaux dit dans un article
sur Jean Monod, publié sur le site de l’Eglise de l’Oratoire : «
L’avènement de Louis XVIII est salué avec reconnaissance dans certains
milieux protestants car il apporte la paix. Quinze ans plus tard, [Jean
Monod] se félicite du nouvel ordre instauré par Louis-Philippe. Les
sincérités excessives des pasteurs parisiens au début du XIXe siècle
nous surprennent quelque peu aujourd’hui ! »
Egalement publié sur mon site consacré à Adolphe Monod (ici).
On y trouve également le texte tel que publié en 1943 ainsi qu’un enregistrement audio.
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