lundi 23 janvier 2017

La sainteté de Dieu selon Saurin



Dans la sixième section de la première partie de son Abrégé de la théologie, Jacques Saurin (1677-1730) se penche sur une autre vérité que la religion naturelle nous révèle : Dieu est un Etre très saint.

A notre avis, le traitement est quelque peu insatisfaisant, car Saurin ne distingue pas entre la sainteté qui est propre à Dieu (son altérité radicale) et la sainteté des hommes, qui lui répond. Aussi, le lien entre manque de sainteté et faiblesse mériterait d’être qualifié : Adam a manqué de sainteté, alors qu’il n’était pas à proprement parler affecté de faiblesse. Le mal, au fond, n’est pas rationnel. Mais bon, c’est intéressant de voir une approche qui se veut la plus rationnelle possible, aux prises avec un sujet aussi difficile que la sainteté de Dieu .

Demande du catéchiste : Quelle est la cinquième idée que vous vous formez de la divinité ?  

Réponse du catéchumène : C’est la sainteté.

D.     Qu’est-ce que la sainteté ? 

R.      C’est une disposition d’esprit que je sens mieux que je ne suis capable de l’exprimer, mais le sentiment que j’en ai me la fait connaître d’une manière aussi exacte que le discours le plus clair et le plus étudié. 

D.     Développez votre pensée.

R.      Je sens par exemple qu’attenter sur la vie [1] de son bienfaiteur est une action digne de blâme et de châtiment, contraire à l’idée que j’ai de la sainteté. Je sens au contraire qu’exposer sa vie pour sauver celle de son bienfaiteur, c’est une action digne de louange et de récompense, et conforme à l’idée que j’ai de la sainteté. 

D.     Mais Dieu n’est soumis à aucune autorité supérieure. Personne n’a le pouvoir, ni de le punir s’il n’est pas saint, ni de le récompenser s’il l’est ; comment comprenez-vous que la sainteté peut lui convenir ? 

R.      La sainteté n’est pas toujours fondée sur l’autorité d’un supérieur ; elle est fondée aussi sur la nature d’un être intelligent, et sur les circonstances où il se trouve. Dieu parle, Dieu promet ; cela suffit pour que ce que j’appelle sainteté puisse lui convenir. 

D.     Mettez votre pensée dans un plus grand jour. 

R.      Dieu parle : je sens que la sainteté demande qu’il dise la vérité. Dieu promet : je sens que la sainteté demande qu’il tienne ce qu’il a promis.

D.     Mais comment pouvez-vous prouver que Dieu a cette sainteté qui engage un être intelligent à suivre dans sa conduite les règles de ce que vous appelez sainteté ?

R.      J’ai deux preuves de cette vérité. 

D.     Quelle est la première preuve ?

R.      C’est que manquer de sainteté, c’est du moins pour l’ordinaire témoigner de la faiblesse. 

D.     Comment témoigne-t-on de la faiblesse lorsqu’on manque de sainteté ?

R.      Un homme est avare, parce qu’il craint de manquer des choses nécessaires à son entretien ; un homme trompe, c’est que cette fourberie lui paraît le moyen le plus propre pour acquérir un bien après lequel il aspire, et ainsi du reste. Etre avare, tromper, ce sont des marques de faiblesse. 

D.     Mais comment savez-vous que cette faiblesse ne peut pas se trouver en Dieu ?

R.      Je le prouve par ces premiers attributs dont nous avons parlé. L’Etre éternel, l’Etre puissant, l’Etre créateur, l’Etre très sage ne peut pas craindre de manquer des choses nécessaires à son entretien, et il ne peut pas tomber dans le défaut des avares. De même, ce grand Etre n’a pas besoin de tromper de pauvres mortels pour se procurer certains biens ; il n’a qu’à penser et qu’à vouloir pour les posséder. 

D.     Quel est le second moyen par lequel vous prouvez que Dieu est saint ?

C’est que Dieu a créé les hommes de la manière la plus propre à les [2] persuader qu’il aime la sainteté.

D.     Comment cela ?

R.      Dieu m’a donné un esprit avec lequel je ne puis m’empêcher de respecter la sainteté, et de mépriser ce qui lui est contraire. Dieu m’a fait capable d’être heureux ou d’être malheureux, et je ne puis être heureux sans la sainteté ; je ne puis qu’être malheureux quand je viole les lois de la sainteté. Car quand je suis ces lois, j’ai une certaine satisfaction qui me rend plus heureux que ne sauraient le faire toutes les richesses du monde, et quand je pêche contre ces lois, je sens un certain chagrin qui me rendrait malheureux, quand même j’aurais au dehors tous les biens que je pourrais souhaiter. Dieu a voulu que les hommes vécussent en société avec les autres homes, mais les hommes seront plus ou moins malheureux dans leur société, selon qu’ils seront plus ou moins saints. Ils seraient plus malheureux dans les villes que les voyageurs dans les bois entre les mains de brigands, s’il était permis de tromper, de voler, de mentir. Il me semble que si Dieu n’aimait pas la sainteté, il n’aurait pas fait tant de choses pour qu’elle fût aimée par les intelligences qu’il a créées.

D.     Quoi dans le temps que vous êtes en colère, avez-vous du respect pour la vertu de la miséricorde [3] ; croyez-vous alors qu’il vous est plus avantageux de la suivre que de la violer ?

R.      Quand je suis en colère, je ne raisonne pas ; je suis comme un furieux qui a perdu l’usage de ma raison.

D.     Mais il y a des hommes qui n’ont pas comme vous ce respect que vous témoignez pour ceux qui suivent les lois de la sainteté, ni ce mépris que vous avez pour ceux qui les violent.

R.      Je ne sais pas s’il y a des hommes tels que vous dites, mais je sais bien que je ne suit pas fait comme vous les dépeignez, et j’espère de ne le devenir jamais.

D.     A quoi vous doit porter l’amour que Dieu a pour la sainteté ?

R.      A être saint comme lui, puisque je ne saurais lui plaire si je viole les lois de cette sainteté, qui est l’objet de son amour.

D.     Quel intérêt avez-vous de plaire à Dieu ?

R.      C’est le plus grand intérêt que je puisse avoir au monde. Il m’importe plus de plaire à Dieu qu’aux plus grands rois de la terre. L’Etre créateur, l’Etre tout-puissant, l’Etre sage tient ma vie, ma fortune, mon existence entre ses mains ; il peut faire de moi tout ce que bon lui semblera : me rendre très heureux si je lui suis agréable, et me rendre très misérable si je lui déplais.


On chantera après cette Section le premier verset du Psaume 97.



[1] Attenter sur la vie de quelqu’un, c’est entreprendre de le tuer. `
[2] Saurin a : « leur »
[3] Sens incertain. Je comprends : « Même quand vous êtes en colère, vous avez néanmoins du respect pour la vertu de la miséricorde … »


Egalement publié sur mon site Internet (ici)

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