jeudi 26 septembre 2013

Esprit Fléchier – une petite biographie



Esprit Fléchier est né le 10 juin 1632 à Pernes-les-Fontaines près d’Avignon, dans le Comtat Venaissin, « d’une honnête famille, mais appauvrie et réduite au petit commerce ».

En 1648, il entre dans la congrégation des prêtres de la doctrine chrétienne (aussi connus sous le nom « Doctrinaires ») dont son oncle maternel, Hercule Audiffret (1603-1659), est alors le supérieur général.

L’étudiant, entre autres au collège de Tarascon, devient enseignant ; il enseigne notamment la rhétorique à Narbonne et se fait remarquer en 1659, en donnant l’oraison funèbre de M. Claude de Rebé (1587-1659), archevêque de Narbonne. La maladie et la mort de son oncle Hercule le font monter à Paris. Il souhaite y rester ; comme ses supérieurs ne l’y autorisent pas, il quitte la congrégation des Doctrinaires, mais, comme le dit Sainte-Beuve, « en se déliant avec douceur, comme ce sera toujours sa façon et sa méthode, en emportant et en laissant les meilleurs souvenirs ! ».

Simple catéchiste de la paroisse de Saint-Roch, il fait la connaissance de Valentin Conrart (1603-1675), le secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui détecte son talent et le présente à Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier (1610-1690) qui à son tour le recommande à la grande autorité littéraire de l’époque, Jean Chapelain (1595-1674). C’est la période mondaine de Fléchier ; il fréquente l’Académie des orateurs de Jean de Richesource (1616-1694) et le salon de Catherine de Rambouillet (1588-1665) qui est alors sur le déclin.

Fléchier écrit alors surtout des vers latins. En 1660, il envoie une pièce sur la paix de Pyrenées (Carmen eucharisticum) au cardinal Mazarin ; en 1661, il rédige une poésie sur la naissance du Dauphin (Genethliacon). Mais c’est surtout une poésie latine de 1662, consacrée au caroussel royal (Cursus regius), qui le fait connaître.

C’est en cette année que Fléchier entre dans la maison de Louis François Le Fèvre de Caumartin (1624-1687), maître des requêtes, pour être le précepteur de son fils, Louis Urbain (1653-1720). En 1665 il accompagne la famille à Clermont-Ferrand où se tiennent les Grands-Jours d’Auvergne, une forme de tribunal exceptionnel par lequel Louis XIV cherche à rétablir l’ordre et la paix civile tout en rétablissant son autorité. Fléchier rédigera les mémoires de ces événements à la demande de la famille Caumartin.

Ses sermons, et surtout ses oraisons funèbres contribuent à forger sa réputation et lui valent une place dans la haute société. En 1668, il devient notamment lecteur du fils aîné de Louis XIV, Louis de France (1661-1711).

En 1672 il donne l’oraison funèbre de Madame de Montausier et cette prestation lui vaut d’être reçu à l’Académie française en 1673, en même temps que Jean Racine (1639-1699) et l’abbé Jean Gallois (1632-1707). Son discours est un grand succès, au point de troubler Racine, qui doit parler après lui et qui, du coup, passe presque inaperçu.

Fléchier produit des éloges funèbres remarquées à l’occasion du décès de la duchesse d’Aiguillon et du vicomte de Turenne en 1675.

En 1676, Louis XIV lui octroie l’abbaye de Saint-Séverin (Seine-et-Marne) et le nomme aumônier de l’épouse du Dauphin, Marie Anne Victoire de Bavière (1660-1690).

En 1679 on publie son histoire de Théodose le Grand, rédigée à l’attention de Louis de France.

En 1682, au lendemain de l’Assemblée du clergé, Fléchier prêche l’avent pour la cour, qui apprécie.

Il est reçu docteur en Sorbonne en 1685. En cette année, qui est aussi celle de a révocation de l’Edit de Nantes, il voyage en Bretagne avec la mission de prêcher aux huguenots. Plus tard, toujours en 1685, il est nommé évêque de Lavaur (Midi-Pyrénées), mais il n’y reste pas longtemps, car en 1687 on lui confie l’évêché de Nîmes. Fléchier accepte, mais nous sommes en possession d’une lettre dans laquelle il implore le roi de le laisser poursuivre son travail à Lavaur.

Nîmes est alors une ville difficile, car peuplée de beaucoup de réformés ayant été obligés d’abjurer leur foi. Il semblerait que Fléchier ait fait preuve de bienveillance à l’égard des protestants.

Comme l’écrit Emanuèle Lesne-Jaffro, le vieil évêque « assiste, sans le comprendre, à l’embrasement des Cévennes et du Languedoc ».

Esprit Fléchier meurt le 16 février 1710 à Nîmes, à l’âge de 67 ans.

Il laisse derrière lui un grand nombre d’écrits, dont les plus célèbres sont probablement ses panégyriques (sermons faisant l’éloge d’un saint) et ses oraisons funèbres.

Il est représenté sur la fontaine Saint-Sulpice à Paris, ensemble avec trois autres évêques orateurs : Bossuet (1627-1704), Fénelon (1651-1715) et Massillon (1663-1742).


Sources principales :
  • « Éloge historique de Messire Esprit Fléchier, Évêque de Nismes », in : Recueil des oraisons funèbres prononcées par Messire Esprit Fléchier, Évêque de Nismes, Paris, 1774, 446 p.
  • Charles-Augustin Sainte-Beuve, Introduction aux Mémoires de Fléchier sur les Grands-Jours d’Auvergne en 1665, Paris, Hachette, 1862, 452 p.
  • Emanuèle Lesne-Jaffro, préface à Fléchier et les Grands Jours d’Auvergne, Tübingen, Narr, 2000, p. 7

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vendredi 13 septembre 2013

Laurent Drelincourt - Sur le Fils éternel de Dieu



Laurent Drelincourt (1625-1680) nous prouve que christologie rime avec poésie :


Sur l’aile de ma foi, jusqu’aux cieux transporté,
Grand Dieu, je vois ton Fils dans sa grandeur immense,
Engendré dans ton sein, sans avoir pris naissance ;
Et vivant avec toi, de toute éternité.

Je le vois ton égal, en force, en majesté :
Joint à toi par nature, et le même en essence ;
Distingué, toutefois, quant à la subsistance ;
Mais sans éloignement et sans diversité.

Etroite liaison ! Ineffable mystère !
Le Père dans le Fils, et le Fils dans le Père,
Sont unis, sans mélange, inséparablement.

De leur sainte union la merveille est extrême ;
Toute image à l’objet ressemble seulement ;
Mais l’image de Dieu, dans son Fils, c’est Dieu même.


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lundi 9 septembre 2013

Comment il ne faut pas prêcher : Cyrille



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Voici le troisième portrait d’un mauvais prédicateur, extrait du traité « Comment il ne faut pas prêcher » de Napoléon Roussel (1857).

Ayant réglé son compte à l’ennuyeux Pamphile, Napoléon Roussel se tourne vers un autre malfaiteur de la chaire, Cyrille, dont la spécialité est de spiritualiser les textes de la Bible. Il déniche un sens caché derrière les affirmations bibliques et interprète les éléments des récits bibliques à sa guise.
« Pour lui, la boue dont Jésus oint les yeux de l’aveugle signifie nos péchés ; le Sauveur, sur une barque, prêchant le peuple assis sur le rivage, figure la distance qu’il y a entre sa nature et la nôtre ; et ainsi de suite. Avec cette méthode, toute la Bible disparaît : histoire, psaumes, prophétie, lettres, tout est jeté pêle-mêle dans un chaos où Cyrille puise au hasard, et d’où sortiront de même des jeux d’esprit, aussi variés, aussi jolis que les dessins d’un caléidoscope. »
Pour réfuter Cyrille, Roussel se penche sur les bases de la sémantique et conclut qu’en général, « tout langage humain, même le plus chargé de figures, doit être pris dans le sens qui se présente le premier à l’esprit : pour tout dire en un seul mot, dans le sens naturel. »

Roussel anticipe l’objection qu’il pourrait en être autrement pour la parole de Dieu ; il note que tout langage est utilisé « non en vue de celui qui parle, mais de celui qui écoute », en l’occurrence l’être humain. S’il veut être compris des hommes, Dieu doit parler leur langage.

Mais ne pourrait-il pas y avoir deux sens qui cohabitent ? Roussel le nie vigoureusement :
« L’admettre, c’est se moquer de Dieu, se jouer de sa Parole et lui ôter toute valeur à force de vouloir lui en donner ! Si la Bible peut avoir deux sens, pourquoi pas trois, quatre, cinquante, cent ? Où s’arrêtera-t-on ? Si les dix premiers ne me conviennent pas, pourquoi n’en chercherais-je pas un onzième ? c’est-à-dire pourquoi n’y mettrais-je pas mon propre sens ? »
Ce qu’on n’admettrait pas chez un avocat ou un législateur, on ne peut pas non plus le tolérer chez un prédicateur :
« Mais parce que les prédicateurs ont le privilège de dire tout ce qu’ils veulent, sans être interrompus, il ne faut pas, ô Cyrille, abuser de ce privilège ; car Dieu vous demandera compte de ce que vos auditeurs auront forcément laissé passer, et un jour vous l’entendrez-vous rappeler ces mots de son apôtre, qu’il ne dit pas en même temps oui et non. »

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