samedi 26 octobre 2013

Laurent Drelincourt - Sur le Saint-Esprit



Laurent Drelincourt (1625-1680) chante le Saint Esprit :

Esprit saint et divin, porte-moi sur ton aile,
Au séjour bienheureux de ton éternité,
Pour y voir des rayons de ta divinité,
Sinon la vive flamme, au moins quelque étincelle.

Mais j’aperçois déjà ta splendeur immortelle :
Je t’adore, ô grand Dieu ! qui dans la trinité,
Termines, seul, l’amour et la fécondité,
Qui du Père et du Fils sont la gloire éternelle.

Achève aussi, pour moi, mon doux consolateur,
L’œuvre dont, par ton Fils, le Père fut l’auteur :
Fais-moi sentir ta force et ta bonté suprême.

Le Père a bien donné son Fils pour me sauver ;
Le Fils, pour mon salut, s’est bien donné soi-même ;
Mais sans toi, ce salut ne se peut achever.


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Aussi publié sur mon site consacré à la grande prédication chrétienne (ici)

jeudi 24 octobre 2013

Charles Drelincourt - l’action du Christ sur la mort (2)





Dans le cinquième chapitre des Consolations, Charles Drelincourt s’intéresse à la mort physique des croyants et à la manière dont la victoire du Christ s’étend à eux.

La mort fait partie de la condition humaine depuis la chute ; elle exprime l’effet du péché. A cet égard, Dieu traite différemment le corps de l’homme et son âme ; celle-ci est lavée alors que le corps est détruit. La mort abolit ainsi les restes de notre corruption.

Pourquoi les croyants doivent-ils passer par là ? Drelincourt invoque trois raisons : la résurrection corporelle est une démonstration éclatante de la puissance de Dieu ; elle met sur un pied d’égalité les croyants de l’ancienne et de la nouvelle alliance, et, surtout, elle nous conforme à l’image du Fils qui a lui aussi connu la mort.

La mort a perdu de son éclat depuis la résurrection du Fils, qui l’a vaincue pour nous et qui continue à la vaincre en nous. Tel un chef d’armée, il est attentif à notre lutte, il nous revêt de son Esprit et de ses armes et il désarme la mort, en lui enlevant son dard, la malédiction de la loi.

Il n’est donc pas étonnant que la mort des chrétiens est différente de celle des autres hommes, malgré les apparences. Elle n’attaque que leur extérieur et n’atteint pas l’âme, et même l’abandon du corps n’est pas une victoire définitive de la mort, car un jour, les enfants de Dieu retrouveront leur corps, dans un état parfait. En ce sens, la mort physique peut être comparée à l’abandon d’une position par un guerrier qui se replie, pour un temps. Drelincourt estime qu’à certains égards, le corps est comme une prison pour l’âme, et il va jusqu’à dire que « nous … contemplons [la mort] avec un ravissement de joie ». Au fond, pour lui, il ne faudrait pas parler d’une « mort » des croyants, car pour eux, c’est le début d’une vie. Tout au plus est-elle une espèce de sommeil ; lors du jugement, les croyants sortiront indemnes de la mort, et celle-ci se verra définitivement anéantie.

Ainsi les trois aspects de la mort, « la corde à trois cordons que le diable avait filée pour en étrangler les hommes », sont traités par l’œuvre du Fils : à la croix il nous a racheté de la mort éternelle ; en faisant son Esprit œuvrer en nous, il nous vivifie ; quant à la mort corporelle, il en a enlevé l’amertume et nous a délivré de toutes nos frayeurs.

Drelincourt clôt le chapitre en annonçant qu’il approfondira tous ces aspects dans la suite de son ouvrage.

Il nous semble que ce chapitre cinquième sonne très juste, dans son ensemble. L’explication des raisons de la mort même des chrétiens est à la fois concise et lumineuse. La présentation de la mort des croyants de la nouvelle alliance paraît également très équilibrée, même si certaines formules sont peut-être un peu trop triomphalistes ; dire que la mort est pour le chrétien un « ravissement de joie » paraît excessif.

A noter aussi l’usage abondant et très intéressant de l’Ancien Testament. Drelincourt illustre bon nombre de ses affirmations en utilisant des passages narratifs de l’Ancien Testament. Il y a là un début d’allégorie, mais le pasteur de Charenton ne tire jamais des conclusions extravagantes ou abusives et reste assez sobre. Cette façon d’utiliser l’Ancien Testament, si elle flirte avec l’allégorie, semble donc tout à fait acceptable.

NB : A titre de curiosité, on peut signaler l’interprétation toute physiologique du chapitre 12 de l’Ecclésiaste, à la fin du premier paragraphe du chapitre. Comme on le voit à travers les fils de Charles, à la maison Drelincourt on cultivait deux sciences : la théologie et la médecine.


Aussi publié sur mon site consacré à la grande prédication chrétienne (ici). On y trouve également le facsimile du texte et un enregistrement audio.

mardi 22 octobre 2013

Massillon - La mort du pécheur et la mort du juste



 

Le texte de base

 

Ap 14.13 : Heureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur

 

Contenu

 

Dans ce sermon, Massillon cherche à dépeindre la mort du pécheur et celle du juste afin de susciter la terreur et le désir chez ses auditeurs, étant donné que leur mort correspondra nécessairement à l’une de ces deux situations. Tout le discours est axé sur ce contraste saisissant. 

La première partie du sermon, consacrée à la mort du pécheur, part du constat de la brièveté et de l’incertitude de la vie. La mort est inéluctable, et elle n’a que deux issues. 

L’heure de sa mort est terrible pour le pécheur. En contemplant sa vie passée, il y voit des peines inutiles, des plaisirs éphémères et des crimes qui vont le suivre. 

Toutes les peines qu’il a endurées, toute l’agitation de sa vie, tout cela n’a pas porté des fruits durables ; il se rend compte qu’il a beau avoir rempli l’histoire de ses actions et le monde du bruit de son nom, il n’a rien qui puisse le suivre devant Dieu. La perspective change lorsqu’on contemple sa vie alors qu’elle est sur le point de se terminer. 

Les plaisirs de la vie, quant à eux, n’ont duré qu’un instant. Et à bien des égards, ils ont été la source de tous ses chagrins, sans compter le fait que Dieu l’en tiendra responsable. 

Et à cela s’ajoute que le mourant trouve aussi la mémoire de ses crimes. Or le jugement de Dieu approche ! Et son entourage même rappelle au pécheur ses méfaits :
« Tout ce qui environne le lit de sa mort fait revivre dans son souvenir quelque nouveau crime ; des domestiques qu’il a scandalisés ; des enfants qu’il a négligés ; une épouse qu’il a contristée par des passions étrangères ; des ministres de l’Eglise qu’il a méprisés ; les images criminelles de ses passions encore peintes sur ces murs ; les biens dont il a abusé ; le luxe qui l’entoure, dont les pauvres et ses créanciers ont souffert ; l’orgueil de ses édifices, que le bien de la veuve et de l’orphelin, que la misère publique a peut-être élevés ; tout enfin, le ciel et la terre, dit Job, s’élèvent contre lui, et lui rappellent l’histoire affreuse de ses passions et de ses crimes … »
Et ce n’est pas tout. Ce qui se passe autour du mourant lui est source de tristesse : ses surprises, ses séparations et ses changements. 

Le pécheur est surpris par l’avènement du jour du jugement alors qu’il n’a pas encore mis de l’ordre dans sa conscience. Il pensait arrivé le moment de profiter des achèvements de la vie, mais le sol se dérobe sous ses pieds. Cette surprise est amplifiée par le fait que tout le monde autour de lui cache la réalité de son état. Lui-même refuse d’ouvrir les yeux sur l’imminence de sa mort. Il se voit donc confronté, au dernier moment, à l’impossibilité de revenir sur ses pas. 

Le pécheur subit alors des séparations douloureuses : séparation d’avec les choses qu’il a accumulées, séparation d’avec la splendeur qui l’environne, séparation d’avec ses charges et honneurs, séparation d’avec son corps, séparation d’avec ses proches et ses amis, séparation d’avec le monde, séparation d’avec toutes les autres créatures. 

Enfin, tout change pour le pécheur mourant : Tout le monde l’abandonne et se retire de lui, car il n’y a plus rien à espérer de la part du mourant. Ses louanges s’abiment dans l’oubli. Son corps se désintègre, et tout autour de lui ne lui renvoie que l’image de la mort. 

La pensée de l’avenir génère en lui des sentiments d’horreur et de désespoir, face à cette région de ténèbres inconnue, cet abîme immense. Son tombeau horrible la perspective du jugement redoutable qui l’attend ont de quoi le faire trembler. Confronté à la proximité immédiate de la mort, il désespère alors de la clémence divine et ne saisit pas les remèdes que la religion offre au mourant. Même l’invitation du prêtre « Partez, âme chrétienne » lui est amère, car il a vécu comme s’il n’avait pas d’âme, et il doit constater que c’est elle qui va se présenter au jugement. Comment s’étonner que sa mort est un supplice. 

La deuxième partie du sermon est consacrée à la mort du juste. Lui aussi connaît quelque chose de l’horreur de la mort, mais celle-ci est surmontée par la grâce. En citant St Bernard, Massillon évoque de nouveau le regard du mourant vers le passé, vers le présent et vers l’avenir, mais cette fois-ci cette contemplation est source de joie. 

Le souvenir du passé suscite dans le mourant le soulagement de voir la fin de ses peines (requies de labore). Rien n’est plus réconfortant pour cette âme que le souvenir des violences qu’elle s’est faites pour Dieu, mais aussi des afflictions passagères, des tentations surmontées, des attaques du monde enfin terminées, le risque de naufrage définitivement écarté. Les combats sont finis, les obstacles anéantis, elle est finalement arrivée à bon port. Le souvenir des chutes est bien sûr également présent, mais il est comme expié par la pénitence et le renouvellement de la ferveur ; la douleur des fautes est sublimée en joie et reconnaissance envers Dieu. Les anciennes miséricordes de Dieu en font espérer de nouvelles ; Dieu ne lui apparaît pas tant comme un juge terrible mais comme un père miséricordieux. 

Ce qui se passe autour d’elle est également pour elle une source de joie (gaudium de novitate). Contrairement au pécheur, rien ne la surprend ; le jour du Seigneur, loin de la surprendre, est pour elle l’accomplissement d’un désir. S’étant préparée à cette heure toute sa vie, elle meurt tranquille, consolée, sans frayeur. Alors que le pécheur mourant réalise qu’il s’était mépris à l’égard du monde, le juste était toujours convaincu de sa nature passagère, et il meurt dans la douce certitude d’avoir fait le bon choix. Les discours des ministres de l’Eglise lui sont doux et consolants. 

Le juste qui meurt ne subit aucunement la douleur de la séparation ; il ne regrette pas le monde et ses biens, ses titres et dignités, car il n’y était jamais attaché. La séparation d’avec ses proches et amis ne lui pèse que peu, car il sait qu’il les retrouvera bientôt auprès de Dieu. Il se sépare volontiers de son corps, c’est pour lui comme un vêtement étranger dont il se débarrasse. « Ainsi la mort ne [le] sépare de rien, parce que la foi l’avait déjà séparé de tout. » 

Aussi, les changements qui se font au lit de la mort ne changent rien au fond, pour l’âme fidèle. La raison s’éteint, mais elle était déjà captive de la foi ; ses yeux s’obscurcissent, mais elle ne contemplait déjà plus que les choses invisibles ; ses sens s’émoussent, mais là encore, elle s’était déjà interdit leur usage naturel. La mort du croyant le rend grand et digne.

La pensée de l’avenir est encore source de joie et de consolation pour l’âme fidèle confrontée à la mort (securitas de æternitate). Il y a là une inversion notable qui s’opère : alors que le pécheur avait vu son avenir avec assurance, la terreur le saisit dans ses derniers instants. L’âme fidèle, par contre, qui travaillait à son salut avec crainte et tremblement pendant toute sa vie, l’espérance l’envahit lorsque la mort approche.
Lorsque les ministres de l’Eglise lui enjoignent de partir, c’est un grand bonheur pour elle ; elle s’endort tranquillement et retourne à Dieu.

 

 Structure 

 

Dans l’ensemble, ce sermon est extrêmement travaillé du point de vue de la structure. 

L’entrée en matière me semble très réussie et profonde (« on meurt comme on a vécu »). Massillon indique clairement les deux parties de son discours dont l’une est consacrée à la mort du pécheur et l’autre à la mort du juste. A l’intérieur de ces parties, on trouve une structuration très nette. Massillon aime à annoncer les (généralement, trois) points qu’il va traiter, à les énoncer clairement en cours de traitement et à les rappeler en résumé. 

Introduction 

Partie 1 : la mort du pécheur
  • Contemplation du passé
    • peines inutiles
    • plaisirs éphémères
    • crimes qui durent
  • Contemplation du présent (« ce qui se passe sous ses yeux »)
    • surprises
    • séparations
    • changements
  • Contemplation de l’avenir
Partie 2 : la mort du juste
  • Contemplation du passé : requies de labore
    • peines utiles
    • souffrances éphémères
    • fautes sublimées
  • Contemplation du présent : gaudium de novitate
    • aucune surprise
    • pas de séparation nouvelle
    • rien ne change
  • Contemplation de l’avenir : securitas de æternitate

 

L’importance du sermon 

 

Massillon sait appuyer là où ça fait mal et créer une atmosphère psychologique intense, qui va en crescendo. Surtout la description de la mort du pécheur montre une maîtrise remarquable des effets psychologiques ; il est difficile de rester de marbre face à cette attaque en règle. En revanche, la sérénité du saint mourant se reflète aussi dans la tonalité plus légère de la deuxième partie du sermon. Tout cela est parfaitement bien réglé et maîtrisé.

 

 Le style 

 

Massillon a une belle maîtrise de la langue française. Son sermon est très écrit, c’est un texte littéraire ; on est très loin de toute improvisation.

 

Eléments oratoires

 

Massillon utilise avec abondance la répétition comme élément structurant et interpellant. Quelques exemples suffiront :
  • « Ses surprises. » en introduction de paragraphe : 6 répétitions ;
  • « Séparation de … » en introduction de paragraphe : 7 répétitions ;
  • « Changement dans … » en introduction de paragraphe : 4 répétitions ;
  • « Cet avenir, cet(te) … » : 6 répétitions au sein d’un paragraphe ;
  • « en vain on … » : 4 répétitions au sein d’un paragraphe ;
  • opposition « On …, (et) il … » : 6 répétitions au sein d’un paragraphe ;
  • « Partez, âme chrétienne : 5 répétions au sein d’un paragraphe, puis encore quatre répétitions vers la fin du sermon

 

Faiblesses 

 

Massillon semble s’être adressé à un public familier du latin ; presque toutes les citations bibliques sont prises de la Vulgate. Cette particularité fait que le sermon en l’état est plus difficilement accessible à un public non versé dans cette langue, et lui confère un air quelque peu élitiste, du moins pour le lecteur moderne. 

Plus fondamentalement, il fait des textes bibliques (surtout Job, Esaië et les Psaumes) un usage presque marginal. Massillon est davantage psychologue que bibliste ; son discours semble davantage fondé sur l’expérience pastorale que sur les affirmations de l’Ecriture, qui servent plutôt comme bouts de phrases illustrant ses propos. D’ailleurs, la structure du sermon semble avant tout inspirée par une pensée de St Bernard. 

Sur le fond, j’ai été quelque peu gêné par cette insistance toute catholique sur la vertu de la souffrance, de la pénitence, des macérations, mortifications etc., un certain dolorisme qui ne semble pas avoir de répondant dans l’enseignement biblique. Quand on lit, par exemple, que le juste traite son corps « comme son ennemi » qu’il avait toujours châtié, crucifié, cela ne semble guère en phase avec une saine attitude biblique. 

Egalement publié sur mon site consacré à la grande prédication chrétienne (ici). On y trouve, entre autres, un enregistrement audio du sermon.