lundi 21 novembre 2016

Portraits d’Alexander Morus

Dans le premier volume de son ouvrage consacré à la Révocation de l’Edit de Nantes à Paris, Orentin Douen décrit le ministre Morus comme suit :
« Ce petit homme d’aspect négligé, avait les pommettes saillantes, le menton très petit, le nez grand, fort ; sa figure maigre, creusée et terminée en pointe, s’élargissait vers les tempes ; le front un peu fuyant se dérobait en partie sous les boucles rabattues de la chevelure ; la bouche était grande ; les lèvres un peu moqueuses et en saillie s’entrouvraient comme pour parler ; d’énormes yeux noirs pleins de feu complétaient cette physionomie peu gracieuse, mais singulièrement originale et plutôt bohémienne qu’écossaise. » [1]
Cette description se fonde probablement sur un des portraits d’Alexander Morus que nous possédons. Dans son ouvrage A Biographical History of England (1824), le révérend Granger recense pas moins de six gravures d’artistes différents :
  • Crispin de Pas [voir portrait 1]
  • V. Schuppen
  • J. Correns
  • Van Somer [voir portrait 7]
  • W. Vaillant, L Visscher [voir portrait 2]
  • Anonyme, avec inscription « Memento Mori » [2]
Nous nous sommes donc mis à la recherche de ces portraits. Voici notre récolte :

Le portrait 1 a été publié vers 1650 par H[endrick] Focken [3], d’après un portrait de
C[rispijn] de Pas[se] le jeune (1594-environ 1790).



L’inscription dit :
« In effigiem viri summi Alexandri Mori theologi eruditissimi et eloquentissimi.
Non est Morus et est, non est quia reddere talem
Ut natura dedit, nulla manus potuit:
Illius ecce viri tibi muta occurrit imago
Cui nemo eloquio se probat esse parem:
Doctrinam pictura tacet. cum doctior illo
Ejusdem aetatis nemo vel esse queat.
Cui mentem dare cui linguam cui lumina pictor
Divini ingenii se potuisse negat
Hunc etiam Morum esse nega: quem conspicis ergo
Vultu Morus adest caetera Morus abest. »
Claudius Salmasius
Notre traduction montre que tout ce qui est écrit en latin n’est pas forcément profond :
« Ce n’est pas Morus, et pourtant c’est lui. Ce n’est pas lui, parce qu’aucune main ne saurait le rendre tel que la nature l’a fait. Voici, l’image muette de cet homme t’apparaît, dont personne n’était l’égal en éloquence : l’image passe sous silence l’enseignement. Car personne de ce temps n’était, ni pouvait être, plus instruit que celui-ci. Le peintre, même s’il avait un talent divin, ne saurait lui donner un esprit, une langue et des lumières. Nie donc que c’est Morus : ce que tu vois, c’est le visage de Morus, le reste de Morus n’y est pas. »

Ensuite, nous possédons le portrait 2 de Lambert Visscher (1633-1690), d’après un portrait de Wallerant Vaillant (1623-1677).


La devise latine Per convitia et laudes est une citation de 2 Co 6.8 dans la version de la Vulgate (... à travers la mauvaise et la bonne réputation ...) et correspond bien à la personne d’Alexander More.

Vous aurez noté que le portrait est de nouveau accompagné d’un petit poème, dont l’auteur semble avoir été davantage doué pour la flatterie que pour la poésie :

Ce portrait de Morus n’est pas la ressemblance,
De cet homme divin, qu’on ne peut qu’admirer,
Puisque pour le bien peindre, il faudrait figurer
Un prodige d’esprit, de savoir, d’éloquence ;
Comme il est tout esprit, vouloir peindre son corps
C’est n’en tirer qu’une ombre et qu’un faible dehors,
Mais ce n’est pas donner son portrait véritable.
Un peintre par son art vainement l’entreprit,
La nature, en formant cet homme inimitable
Ne permit qu’à lui seul d’imiter son esprit. 

Le portrait 3 ressemble beaucoup au portrait 2 :


Les Archives de la ville d’Amsterdam en possèdent une copie et l’attribuent sans surprise à Visscher.


La bibliothèque nationale d’Autriche à Vienne possède un exemplaire du beau portrait 4 de Morus, du graveur P. Vaudrebanc d’après un dessin de Gribelin :


Autour du portrait, on lit l’inscription : « Alexander Morus, professeur en théologie et ministre ». En bas, à gauche et à droite des armoiries, il y a un petit texte en latin :


« Effigies Vultum, Mentem scripta ejus adumbrant
Umbras Vel satis est tanti habuisse viri »

Nous traduirions cela comme suit :
« Ce portrait et ses écrits ne donnent qu’une ombre de son visage et de son esprit
Mais, l’homme fut d’une telle stature qu’on peut se contenter d’ombres. » [4]
Vous pouvez regarder l’image en haute résolution ici.


Le Rijksmuseum d’Amsterdam possède le portrait 5 de Morus par Wallerant Vaillant :


Peut-être le portrait 2 est-il basé sur ce tableau ?

Le portrait 6 se trouve également dans la collection des Archives d’Amsterdam :


C’est une gravure du gaveur parisien Desrochers. L’inscription dit : « Alexandre Morus, Ministre des protestants à Genève, en Hollande et en France, né à Castres en 1616, mort à Paris en 1670. »

Ensuite il y a un petit texte encadré : « Morus prêcha toute sa vie contre le vice et les pécheurs ; mais heureux est quiconque allie la doctrine et les bonnes mœurs. »

La pointe polémique est manifeste ; la désignation « ministre des protestants » fait penser que l’auteur des rimes appartient au camp catholique.

Le Rijksmuseum d’Amsterdam possède aussi le portrait 7 de Morus par l’artiste Jan van Somer (1645-1699) :


Le Fitzwilliam Museum est en possession d’un exemplaire du portrait 8 qui semble en effet représenter Morus, mais l’identification n’est pas certaine.


Finissons avec le portrait 9 de Morus, en couleur, qui se trouve lui aussi dans la riche collection du Rijksmuseum d’Amsterdam. C’est une œuvre d’Arnoud van Halen (1673-1732) :



[1] Orentin Douen, La révocation de l’édit de Nantes à Paris. Tome premier, Paris, Fischbacher, 1894, p. 218

[2] Il y a là un jeu de mots : Memento mori signifie : « Souviens-toi de ce que tu mourras », Memento Mori « Souviens-toi de Morus ».

[3] et aussi par Hugo Allard

[4] Dans le tome LI du Bulletin Historique et Littéraire de la SHPF (1902), on évoque cette légende « d’une modestie contestable » et on propose de la traduire ainsi : « « Ce portrait et ses écrits ne donnent qu’une idée affaiblie de son visage et de son esprit, mais c’est déjà quelque chose d’avoir une image d’un aussi grand homme ».

Aussi publié sur mon site consacré à la prédication française (ici). Vous y trouverez également certains des portraits en haute définition.

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