lundi 7 novembre 2016

Napoléon Roussel – Prêcher comme Jésus


Reconstitution du visage d’un Galiléen du temps de Jésus par l’anthropologue Richard Neave


Le dernier – et sans doute le plus beau – chapitre de l’ouvrage Comment il ne faut pas prêcher de Napoléon Roussel (1805-1878) est consacré au plus grand des prédicateurs : Jésus-Christ. Les autres chapitres, qui caricaturent divers prédicateurs du temps de Roussel, peuvent avoir pris des rides ; celui-ci n’a rien perdu de sa pertinence.


Roussel constate d’abord que Jésus ne pratique pas l’art oratoire : « Jésus ne fait pas de discours, il parle … point de division, point d’arrangement prémédité, ni exorde, ni péroraison. » Celui qui veut imiter Jésus-Christ en chaire doit parler au lieu de prêcher.

Le sujet traité

Jésus ne parle pas de façon abstraite, mais il « personnalise » son discours : « Quand une pensée abstraite se rencontre sur son chemin, Jésus la transforme encore en un être vivant » : il ne parle pas de la rédemption, mais du Rédempteur ; il évoque, non pas l’humilité, mais les humbles. Ainsi, Jésus ramène le débat dans le monde réel. Les expressions abstraites peuvent véhiculer des idées, mais non pas des sentiments ; elles peuvent communiquer un système, mais non pas le salut. De plus, elles exposent l’auditeur à l’erreur de se croire chrétien, parce qu’il comprend le christianisme. Enfin, c’est beaucoup plus intéressant d’entendre parler de personnes que d’abstractions.

L’auditeur

Jésus s’adapte à ses auditeurs ; il tient compte de leur intelligence et de leur moralité, de leurs préjugés et de leur profession. Il se met à leur hauteur et les conduit pas-à-pas à reconnaître leur erreur et à saisir la vérité qu’il veut leur faire comprendre. Les seuls qu’il condamne, ce sont les Pharisiens hypocrites, qu’il regarde comme perdus sans retour.

Souvent, au lieu de répondre aux questions, Jésus répond aux pensées qui les sous-tendent : « il va chercher dans le fond de l’âme de ses auditeurs ce qu’ils y cachent, ou même ce qu’ils ignorent. Il ne se contente pas de triompher en apparence, il veut vaincre en réalité ; non pas imposer silence, mais persuader ». En cela, il se différencie de bon nombre de prédicateurs qui cherchent à confondre plutôt qu’à convaincre et qui se satisfont de répondre aux questions sans se soucier si celles-ci reflètent bien les questionnements de la personne en face.

A cela Jésus ajoute une habileté toute particulière à toucher ses interlocuteurs. Le triple questionnement à Pierre, qui rappelle le triple reniement de ce dernier, en est un exemple, tout comme sa gestion de la situation lorsqu’on lui amène la femme adultère.

Roussel se réfère à la parole de Jésus « Si quelqu’un veut faire la volonté de mon Père, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même » pour affirmer que tout homme arrive à la vérité dans la proportion où il aime le bien. « Nous ne réussirons donc auprès de nos auditeurs qu’en les prenant au point où ils en sont de cet amour du bien. » Il faut donner un enseignement approprié aux besoins, aux lumières des auditeurs. Or cette approche oblige le prédicateur à sortir de la routine et d’abandonner la facilité des citations et déclarations toutes faites.

Roussel estime qu’il y a dans la nature humaine un fond commun où le prédicateur doit se tenir. Le cœur, la conscience, la raison, plus ou moins développés, se retrouvent chez tout le monde. Mais lorsqu’on plonge dans les profondeurs de la théologie, de la logique ou de la philosophie, on perd la foule.

Jésus, lui, se distingue par son naturel et sa simplicité. Qui ne comprend pas ses paraboles ? Jésus ne parle pas des subtilités des docteurs de son temps, il prend ses images dans la nature, les champs, la famille. Toutes profondes qu’elles sont, ses paroles sont à la portée de tous.
« Qui prêche aussi simplement que Jésus-Christ a prêché ? Qui pourrait dire : Il n’y a pas dans mon auditoire une servante, un paysan qui ne m’aient compris ? Personne. Pourquoi ? Parce que personne ne s’oublie assez lui-même pour ne songer qu’à ses auditeurs. »

Le prédicateur

Malgré sa grandeur, malgré l’importance de son rôle, Jésus s’efface dans ses discours. Il se fait petit, il parle surtout des autres. Lui, le Fils de Dieu, se nomme ‘Fils de l’homme’. 
« Aussi, ne craint-il pas de prendre un style populaire. Impossible de saisir en lui une prétention littéraire. S’il colore ses idées, s’il répète ses formes, s’il dramatise ses enseignements, c’est toujours pour le bien de ses auditeurs, pour en être compris et non pas admiré. »
Roussel évoque brièvement Adolphe Monod, dont les discours éloquents ont fait l’admiration de tous. Mais ses discours les plus puissants, il les a donnés sur son lit de mort, « précisément parce qu’il y avait là moins de style et plus de simplicité ». Roussel poursuit :
« Oui, quand on vient me parler de mes intérêts éternels, j’éprouve le besoin d’entendre l’homme et je me défie de l’orateur. Je ne veux pas qu’on me charme, je veux qu’on m’instruise : je suis là, non pour m’extasier devant vous, mais pour être converti à Dieu ; et si malheureusement vous me faites penser à votre talent, le vrai but est manqué, vous me mettez au service de votre réputation au lieu de vous consacrer vous-même à l’œuvre de mon salut. Or, ce n’est pas pour vous prédicateur, c’est pour moi auditeur, que cette chaire chrétienne est dressée, et vous êtes mon ministre, mon serviteur ! »
Roussel résume ses trouvailles en trois recommandations :
  • traiter des êtres, non des idées;
  • se mettre à la portée de l’auditoire; et
  • s’effacer soi-même.

Il termine avec deux exhortations. La première s’adresse aux prédicateurs non convertis. Roussel estime que leur travail est en vain, tant qu’ils ne convertissent pas. Ensuite, il se tourne vers les prédicateurs convertis. Il leur conseille de faire le deuil de leur amour-propre et de simplifier leur discours. Cela nécessite une meilleure préparation avant de monter en chaire :
« Si notre sujet était longuement élaboré, si nous possédions bien notre matière ; si nos idées étaient claires, notre plan complet, notre cœur chauffé par la méditation, et surtout si nous nous étions assuré l’onction du Saint-Esprit par la prière, nous aborderions la chaire sans appréhension, nous nous y maintiendrions sans crainte de manquer de développements, sans préoccupation de produire l’intérêt. L’esprit libre, calme, nous marcherions droit au but ; nos allures elles-mêmes commanderaient le respect ; et, toujours plus maîtres de nous parce que en avançant le sujet nous saisirait toujours davantage, nous deviendrions aussi maîtres de l’auditoire, et finirions par le conduire avec une joie commune au but désiré. »
Roussel clôt en insistant sur l’importance de la prière faite avec foi pour obtenir le secours du Saint-Esprit. Sans une intervention de l’Esprit de Dieu, tous nos efforts resteront vains.

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