mercredi 8 juin 2016

Jacques Colas de la Treille - une petite biographie


Waalse Kerk, Rotterdam

Jacques Colas (ou Collas) de la Treille naît autour de 1665 à Preuilly en Touraine (Indre-et-Loire). Son père est René Colas, sieur de la Treille [1], le pasteur de l’Eglise Réformée de Preuilly, « très distingué par son mérite et par ses talents, que la seule délicatesse du tempérament empêcha de répondre aux désirs de l’Eglise de Charenton, qui souhaita son ministère » [2].

Jacques fait des études de théologie à l’Académie de Saumur, qui est fermée en 1685, peu avant la révocation de l’Edit de Nantes. Le jeune Jacques subit « dans sa famille et dans sa personne les plus grandes rigueurs de la persécution » [3] ; il passe neuf mois en prison et finit par abjurer. Libéré, il se réfugie aux Pays-Bas, où il reprend ses études théologiques à Utrecht.

Il est admis comme proposant en 1689 et reçu comme pasteur en 1690. Pendant huit ans, il est le pasteur du régiment Varenne de Brandebourg-Prusse, formé de réfugiés huguenots.

Après la signature du traité de Ryswick en 1697, Jacques s’installe à Amsterdam. A l’occasion d’une visite à Londres, il se fait remarquer à l’Eglise Française (Threadneedle Street) qui cherche un pasteur. Lors du vote du Consistoire, le 27 novembre 1700, il obtient 35 voix sur 40. Le décret royal est signé par Guillaume III le 24 décembre de la même année. Mais avant que Jacques ne soit installé comme pasteur, sa nomination est contestée. Un ancien de l’Eglise, le joaillier et banquier Louis Berchere, met en cause son orthodoxie en matière de grâce et de prédestination, peut-être parce que l’Académie de Saumur était connue pour ses vues arminiennes ; on colporte aussi l’abjuration. Jacques défend sa doctrine et, tout en reconnaissant son abjuration, en explique les circonstances et le fait qu’en arrivant aux Pays-Bas, il avait aussitôt fait acte de reconnaissance. Il fait aussi savoir qu’il en demande pardon à Dieu tous les jours. Ses arguments convainquent, mais le mal est fait. Jacques reste, mais lorsque l’Eglise de Delft fait appel à lui un an plus tard, il décide de partir, passant outre les arguments du Consistoire, qui plaide l’absence de bonnes raisons de partir, et les tentatives de le retenir. Finalement, on se met d’accord en 1702.

Jacques devient donc pasteur à Delft. En novembre 1706, il y épouse Anne Marguerite Pérot, qui est également originaire de Preuilly.


Le couple a une fille, Marie Anne [4], qui est baptisée en 1709 à Delft, comme en témoigne le Registre paroissial des baptêmes :



Vers 1710, Jacques devient pasteur de l’Eglise de Rotterdam.

Sa santé se dégrade peu à peu ; il souffre d’accès de goutte de plus en plus fréquents et longs.

En février 1723, il subit une « espèce de paralysie qui lui embarrassa la langue. Il perdit en même temps la mémoire, pour les expressions dont il voulait se servir et qu’il ne trouvait qu’avec peine. » [5]. Ces symptômes font penser à une attaque cérébrale.

Soutenu par son ami, le médecin Herman Lufneu (1657-1744), Jacques reprend le chemin de la guérison et peut même se rendre à Aix [6]. A son retour, il monte même en chaire, le dimanche 14 novembre 1723. Le mercredi suivant, il remonte en chaire pour prier, mais au milieu de cette prière, il fait une nouvelle attaque. Transporté chez lui, il y meurt quelques jours plus tard [7], à l’âge d’environ 58 ans.

Quatre ans après sa mort, en 1727, sa veuve publie vingt-sept de ses sermons en deux volumes. Il ne semble pas avoir laissé d’autres écrits.

Jacques Colas de la Treille a été très apprécié comme prédicateur, et il semble avoir compris cette partie de son ministère comme la plus importante. L’Article 65 des Articles résolus au Synode des Eglises Wallonnes de 1724 [8], dit de lui que « par la netteté des ses idées, par la pureté de sa diction, par l’éloquence mâle qui régnait dans ses discours, [il] se fit toujours admirer de ceux qui l’entendirent ».

Gantois et Frescarode ne sont pas avares de louanges non plus : « Il avait une si haute idée de la prédication qu’il croyait qu’on ne pouvait jamais se donner trop de peine pour s’en acquitter dignement ; aussi, quoi qu’il ait passé plus de 30 ans dans le ministère, ses derniers sermons lui coûtaient autant que les premiers, peut-être même plus, parce que sa délicatesse augmentait avec l’âge, et qu’il n’y avait que ce qui approchait de la perfection qui pût le contenter. Mais que ne faut-il pas pour cela ?

Se former des idées claires du sujet qu’on traite ; ranger sa matière dans un ordre si naturel que l’auditeur suive sans peine celui qui parle et conserve l’enchaînement de ses raisonnements ; s’exprimer si simplement que la moindre capacité l’entende, et si noblement que les oreilles les plus délicates soient satisfaites ; écarter avec soin tout ce qui est étranger à son sujet ; tenir ferme contre la tentation d’une pensée brillante mais hors de propos, qu’une imagination échauffée vient quelquefois présenter à la traverse ; faire un choix judicieux des preuves qui sont les plus propres à convaincre ; trouver le moyen d’être en même temps clair et concis, animé et solide, populaire et logicien ; connaître tous les plis et tous les replis du cœur ; savoir ce qui est le plus capable de faire impression sur lui, découvrir les ressorts qui le font agir ; c’est ce qu’il faut, et il n’en faut pas moins, pour éclairer l’esprit, pour toucher le cœur et pour emmener l’un et l’autre captif à l’obéissance de Christ. C’était là le grand et l’unique but que M. de la Treille se proposait, c’est ce même but qu’il a si heureusement atteint. On ose le dire hardiment, ses ouvrages en font foi : il ne chercha jamais à toucher le cœur qu’en éclairant l’esprit. Il évita toujours ces raisonnements abstraits et métaphysiques dans lesquels l’auditeur se perd le plus souvent, avec celui qui lui parle, et jamais il ne donna dans ces élans enthousiastiques qui ne font d’impression que sur la machine [9], et qui tirent des larmes des yeux des auditeurs sans qu’ils puissent se rendre raison à eux-mêmes pourquoi ils pleurent. » [10]

Bel éloge pour un prédicateur !

Sources
  • Jacques Gantois et Jérémie Frescarode, Préface à : Anne Marguerite Pérot (veuve La Treille ; éd.), Sermons sur divers textes de l’Ecriture sainte par feu Mr. J. Colas de la Treille, pasteur à Rotterdam. Tome premier, 1727, Amsterdam, chez François Changuion, pp. IX-XX
  • A. Dupin de Saint-André, « Une Eglise Réformée disparue : Preuilly en Touraine (1544-1684) », Bulletin historique et littéraire (Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Vol. 40, No. 1 (15 Janvier 1891), pp. 23-36
  • David van der Linden, Experiencing Exile. Huguenot Refugees in the Dutch Republic, 1680-1700, 2015, Ashgate, 289 p.
  • Robin Gwynn, The Huguenots in Later Stuart Britain. Volume I: Crisis, Renewal, and the Ministers, Dilemma, 2015, Sussex Academic Press, pp. 335s
  • Archives paroissiales de Delft (en ligne)

[1] A. Dupin de Saint-Andre, p. 31 
[2] Gantois et Frescarode, p. IX
[3] ibid.
[4] Dans l’Article 65 des Articles résolus au Synode des Eglises Wallonnes des Provinces-Unies des Pays-Bas, assemblé à Gorcum à partir du 4 mai 1724 (Gantois et Frescarode, p. XIXs), il n’est question que d’expression de condoléance à l’égard de la veuve. Faut-il en déduire que Marie Anne n’est plus ? En tout cas, nous n’avons pas trouvé d’autres traces de cette femme que son baptême.
[5] Gantois et Frescarode, p. XVI
[6] Probablement, Aix-les-Bains,
[7] Gantois et Frescarode, p. XIX situent sa mort « le Samedi 23. de Novembre 1723 ». Comme le 23 novembre 1723 était un mardi, le pasteur est probablement mort le samedi 20 novembre.
[8] Gantois et Frescarode, p. XX
[9] par ruse, en employant des artifices
[10] Gantois et Frescarode, p. XIIIs


Egalement publié sur mon site consacré aux grands prédicateurs (ici).

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