lundi 9 septembre 2013

Comment il ne faut pas prêcher : Cyrille



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Voici le troisième portrait d’un mauvais prédicateur, extrait du traité « Comment il ne faut pas prêcher » de Napoléon Roussel (1857).

Ayant réglé son compte à l’ennuyeux Pamphile, Napoléon Roussel se tourne vers un autre malfaiteur de la chaire, Cyrille, dont la spécialité est de spiritualiser les textes de la Bible. Il déniche un sens caché derrière les affirmations bibliques et interprète les éléments des récits bibliques à sa guise.
« Pour lui, la boue dont Jésus oint les yeux de l’aveugle signifie nos péchés ; le Sauveur, sur une barque, prêchant le peuple assis sur le rivage, figure la distance qu’il y a entre sa nature et la nôtre ; et ainsi de suite. Avec cette méthode, toute la Bible disparaît : histoire, psaumes, prophétie, lettres, tout est jeté pêle-mêle dans un chaos où Cyrille puise au hasard, et d’où sortiront de même des jeux d’esprit, aussi variés, aussi jolis que les dessins d’un caléidoscope. »
Pour réfuter Cyrille, Roussel se penche sur les bases de la sémantique et conclut qu’en général, « tout langage humain, même le plus chargé de figures, doit être pris dans le sens qui se présente le premier à l’esprit : pour tout dire en un seul mot, dans le sens naturel. »

Roussel anticipe l’objection qu’il pourrait en être autrement pour la parole de Dieu ; il note que tout langage est utilisé « non en vue de celui qui parle, mais de celui qui écoute », en l’occurrence l’être humain. S’il veut être compris des hommes, Dieu doit parler leur langage.

Mais ne pourrait-il pas y avoir deux sens qui cohabitent ? Roussel le nie vigoureusement :
« L’admettre, c’est se moquer de Dieu, se jouer de sa Parole et lui ôter toute valeur à force de vouloir lui en donner ! Si la Bible peut avoir deux sens, pourquoi pas trois, quatre, cinquante, cent ? Où s’arrêtera-t-on ? Si les dix premiers ne me conviennent pas, pourquoi n’en chercherais-je pas un onzième ? c’est-à-dire pourquoi n’y mettrais-je pas mon propre sens ? »
Ce qu’on n’admettrait pas chez un avocat ou un législateur, on ne peut pas non plus le tolérer chez un prédicateur :
« Mais parce que les prédicateurs ont le privilège de dire tout ce qu’ils veulent, sans être interrompus, il ne faut pas, ô Cyrille, abuser de ce privilège ; car Dieu vous demandera compte de ce que vos auditeurs auront forcément laissé passer, et un jour vous l’entendrez-vous rappeler ces mots de son apôtre, qu’il ne dit pas en même temps oui et non. »

Aussi publié sur mon site consacré à Adolphe Monod (ici).

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